Iraqi Freedom, cinq ans après

Cinq années après le début de l’opération Iraqi Freedom menée par les Etats-Unis et leurs alliés pour la circonstance, l’heure est au bilan.

Bien que les armes de destructions massive n’ont pas été (encore?) retrouvée et qu’un récent rapport du Pentagone ait conclu à l’absence de liens directs entre le réseau Al Qaïda de Ben Laden et Saddam Hussein,  même si ce dernier a soutenu d’autres organisations terroristes, le président américain George W Bush ne regrette pas sa décision d’envahir l’Irak.

« Chasser Saddam Hussein du pouvoir était la bonne décision » a-t-il déclaré lors d’un discours mercredi dernier, avant de promettre « une victoire stratégique majeure dans la guerre plus large contre le terrorisme. »

Les intentions des néoconservateurs de Washington étaient, à l’époque, d’imposer la démocratie au Moyen-Orient en faisant de l’Irak un exemple dont auraient pu s’inspirer les régimes autocratiques de la région. L’avènement d’un Etat de droit et la mise en place de conditions susceptibles d’améliorer les conditions de vie des populations auraient dû, selon eux, couper les motivations qui nourissent le terrorisme. C’était oublier le facteur religieux…

Cela étant, le président irakien, Jalal Talabani, a quant à lui déclaré que l’intervention américaine avait permis de mettre fin à une période « brutale de torture et de tyranne » et qu’elle avait ouvert « une nouvelle ère d’espoir et de droits démocratiques. »

De fait, il est vrai que depuis le transfert officiel du pouvoir aux Irakiens le 28 juin 2004, l’Irak est sur la voie d’une normalisation démocratique, avec, en 2005, l’organisation des élections de l’Assemblée de transition en janvier et celle des législatives en décembre. Le pays s’est même doté d’une Constitution en octobre de la même année.

Pour autant, ces avancées ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt. L’intervention de la coalition dirigée par les Etats-Unis a en quelque sorte ouvert la boîte de pandore avec la résurgence de tensions communautaires. Avant mars 2003, les arabes sunnites, qui, bien que minoritaires dans le pays, dictaient leur loi aux Chiites et aux Kurdes. Ces derniers, maintenant au pouvoir, n’ont pas oublié les massacres dont ils en ont été les victimes et qui avaient été ordonnés par Saddam Hussein. Et puis les djihadistes se réclamant d’Al Qaïda ont vu dans l’Irak un nouveau terrain pour défier les Etats-Unis et accroître leur influence.

Tout cela a eu pour conséquence une explosion de la violence dans le pays, notamment et surtout dans le « triangle sunnite », englobant Bagdad, Ramadi, Falloudjah et le fief de Saddam Hussein, Tikrit. Les soldats américains étaient alors confrontés aux combattants islamistes, avec à leur tête le sinistre Abou Moussab al-Zarquaoui, aux anciens militaires et fonctionnaires du parti Baas limogés par le nouveau pouvoir et à des groupes crapuleux qui trouvèrent dans le rapt un moyen de s’enrichir.

L’adoption de la loi autorisant les anciens baasistes à réintégrer l’administration irakienne, le changement de tactique de l’armée américaine impulsé par le général Patreus, le ralliement des tribus arabes contre les djihadistes d’Al Qaïda et la trêve unilatérale de la milice chiite de Moqtada Sadr ont permis d’améliorer la sécurité dans le pays. De l’aveu même de George W Bush, ces gains sont « fragiles et réversibles ». Les récents attentats à Bagdad qui ont fait plusieurs dizaines de victimes et l’assassinat récent de l’évêque chrétien de Mossoul le prouvent.

Depuis cinq ans, l’armée américaine a perdu 3.992 hommes et compte près de 30.000 blessés. La plupart d’entre eux ont été la cible d’attentats, de tireurs d’élite ou d’attaques réalisées avec des engins explosifs improvisés, ce qui a motivé le Pentagone a lancer le programme MRAP, c’est à dire la mise en service de véhicules disposant d’un blindage renforcé. Au total, ce sont 4.295 militaires de la coalition qui ont été tués en Irak, dont 175 Britanniques, 32 Italiens et 22 Polonais.

Les conséquences de la guerre ont bien évidemment été encore plus terribles pour la population civile. Le nombre de civils irakiens tués entre mars 2003 et mars 2006 varie selon les estimations. La plus optimiste l’évalue à 80.000. L’Organisation mondiale de la Santé évalue le nombre de victimes entre 104.000 et 223.000.

Ce bilan, terrible, ne doit pas faire oublier la tragédie des populations réfugiées. Selon les estimations du Haut-Comité aux Réfugiés (HCR), près de 2.2 millions d’Irakiens auraient fui leur pays. Environ 1,5 millions d’entre eux se trouvent en Syrie. L’Iran (99.000), le Liban (50.000), la Jordanie (entre 500.000 et 750.000), l’Egypte (19.250) et la Turquie (4.000) constituent leurs principales terres d’accueil. La communauté chrétienne d’Irak, qui jusque là bénéficiait d’une relative quiétude et dont était issu Tarek Aziz, un ancien ministre de Saddam Hussein, se réduit telle une peau de chagrin, étant victime de la pression des islamistes.

Quant aux conditions de vie, les fruits de la normalisation démocratique se font encore attendre. Le chômage concerne entre 20 et 50% des Irakiens et, selon les Nations unies, 4 millions d’entre eux ont du mal à se nourrir. Près de 40% de la population n’a pas accès à l’eau potable alors que l’Irak est un pays riche en or bleu. Seulement, les infrastructures sont en dans un état déplorable et les ingénieurs qui en avaient la charge sont partis.

Quant à la situation sanitaire, elle n’est guère plus fameuse. L’Irak aurait besoin de 80.000 lits d’hôpitaux. Il n’y en a que 30.000 actuellement. En 1990, le pays comptait 34.000 médecins. Près de 20.000 auraient quitté l’Irak, au moins 2.200 médecins et infirmières ont été tués, victimes des violences des extrêmistes pour qui les docteurs constituent une de leur cible principale.

Pourtant, l’Irak est un pays riche, surtout grâce à son pétrole. Cinq ans après la chute de Saddam Hussein et la fin de l’embargo et du programme « pétrole contre nourriture », l’Etat affiche un budget excédentaire de plusieurs milliards de dollars, grâce notamment à l’envolée du prix du brut sur les places financières. En 2007, les exportations irakiennes de pétrole se sont élevées à 40 milliards de dollars. Et si le baril se maintient au-dessus des 100 dollars en 2008, les projections donnent des recettes pétrolières de 70 milliards de dollars.

La baisse du niveau de l’insécurité et la lutte contre la contrebande ont permis à l’Etat irakien d’atteindre ses objectifs de production d’or noir, avec deux millions de barils par jour, ce qui correspond à la situation d’avant guerre. Par ailleurs, la croissance du PIB est de 6% et l’inflation est passée de 60% à 20%. Des performances économiques qui masquent, comme on l’a vu, les réelles conditions de vie des Irakiens.

Rien n’est donc définitivement acquis en Irak. Les tensions communautaires sont loin d’avoir disparue et Washington considère même que la réconciliation entre chiites, Kurdes et arabes sunnites tardent à venir. De plus, l’intervention américaine, qui a placé les chiites irakiens au pouvoir, a eu pour effet de renforcer l’Iran – également chiite – dans la région. Alors que Téhéran chercherait à se procurer l’arme nucléaire et soutient le Hezbollah au Liban, les bénéfices de l’opération sont loin d’être évident.

A cela s’ajoute la facture de la guerre. Initialement, l’administration Bush tablait sur un coût de 50-60 milliards de dollars. Cinq ans après, la facture est dix fois plus élevée, soit 488 milliars de dollars, et cela sans compter les 80 milliards supplémentaires sur lesquels le Congrès doit se prononcer. Le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, va encore plus loin en estimant qu’en 2017, le coût financier réel de cette guerre devrait atteindre le chiffre astronomique de 3.000 milliards de dollars. Dans un livre qu’il a cosigné abvec Linda Bimes, Stiglitz prend en effet compte des dépenses qui ne sont pas comptabilisées actuellement, comme les pensions d’invalidité versées à près de 40% des 1.65 millions de militaires qui ont été envoyés en Irak, celle versées aux familles qui ont perdu un des leurs ou encore les couvertures santé des vétérans.

Il reste encore à savoir comment les Etats-Unis vont pouvoir se désengager de l’Irak. Selon George W. Bush, un retrait anticipé sèmerait le « chaos » et marquerait une victoire des terroristes et de l’Iran, ce qui est d’ailleurs vraisemblable. Mais l’idée selon laquelle il vaut mieux combattre Al Qaïda en Irak pour ne pas avoir le faire aux Etats-Unis ne constitue pas pour autant une assurance tout risque contre un éventuel attentat de l’envergure du 11 septembre 2001.

Les activistes islamistes et leurs alliés talibans ont repris des forces en Afghanistan, là où tout a commencé. Les forces de l’Otan engagées éprouvent des difficultés croissantes à les contrer et l’Alliance atlantique ne cesse de demander des renforts. Avec l’invasion de l’Irak, un second front s’est ouvert contre le terrorisme islamique. Or, il est toujours délicat et dangereux de combattre sur deux fronts à la fois.

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