SCAF : Berlin annonce un accord entre Dassault Aviation et Airbus sur l’avion de combat de nouvelle génération

En février 2021, à l’issue d’un conseil franco-allemand, Angela Merkel jeta un froid au moment d’évoquer le Système de combat aérien du futur [SCAF], un programme lancé en 2017 par la France et l’Allemagne, rejoint plus tard par l’Espagne.

« Vous savez que c’est un projet sous leadership français mais il faut quand même que les partenaires allemands puissent être à un niveau satisfaisant face à leurs homologues [français]. Nous devons donc voir très précisément les questions de propriété industrielle, de partage des tâches et de partage de leadership », avait-elle lancé, se faisant ainsi l’avocate des exigences posées par son industrie… et le Bundestag [chambre basse du Parlement allemand].

À l’époque, il était question de lancer la phase 1B [celle ouvrant la voie à un démonstrateur, ndlr] et le blocage concernait surtout le pilier n°1 du programme, c’est à dire l’avion de combat de nouvelle génération [NGF]. En effet, estimant avoir déjà fait assez de concessions, Dassault Aviation entendait garder les leviers lui permettant de tenir son rôle de maître d’oeuvre, ce qui lui contestait Airbus, représenté par ses fililales allemande et espagnole.

En effet, l’industriel français avait déjà accepté que 50% des tâches spécifiques se fissent sans responsable désigné et que les 50% restantes fussent partagées selon la règle des trois tiers, dont deux tiers devait revenir à Airbus, grâce à ses deux filiales. Seulement, il n’était pas question pour lui de transiger sur sa propriété intellectuelle et de céder sur les commandes de vol, l’architecture fonctionnelle, l’interface homme-machine et la furtivité du NGF.

Quoi qu’il en soit, et malgré trois rapports [deux du ministère allemand de la Défense et un de la Cour fédérale allemande des comptes] ayant dénoncé la « mainmise française » sur le SCAF, le Bundestag accorda, du bout des lèvres, le financement nécessaire au lancement de cette phase 1B. Ce qui permit par la suite, au niveau gouvernemental, la signature de l’Arrangement d’application n°3. Seulement, aucun accord n’était encore en vue entre les industriels impliqués dans le développement du NGF.

En mars, le Pdg de Dassault Aviation, Éric Trappier, ne cacha pas son impatience. « Avec la France qui est leader sur le contrat, Dassault Aviation est prêt à signer. On a fait tout ce qu’il fallait pour pouvoir signer avec Airbus. J’attends la signature d’Airbus », avait-il lancé. Et d’évoquer un « plan B ».

De son côté, en juin, le Pdg d’Airbus Defence & Space, Michael Schoellhorn, fit monter les enchères, dans un entretien accordé au quotidien Les Échos, en contestant le statut de « meilleur athlète » de Dassault Aviation, en particulier dans le domaine des commandes de vol.

Dans le même temps, l’idée d’un échec du SCAF, ou plus précisément du NGF, commença à être évoquée de plus en plus ouvertement, tant en France qu’en Allemagne. En témoignent les propos tenus par certains députés [y compris ceux de la majorité] lors de l’examen des crédits de la mission Défense pour 2023 à l’Assemblée nationale…

Cela étant, malgré les positions fermement défendues par les industriels concernés, les discussions se sont poursuivies. Et elles ont fini par aboutir, sans que l’on sache encore qui, de Dassault Aviation et d’Airbus, a fait des concessions… Ou s’il s’agit de ne pas laisser filer une partie des budgets débloqués pour la phase 1B [soit 3,6 milliards d’euros, ndlr]…

Toujours est-il que, dans la soirée du 18 novembre, la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, a annoncé, via Twitter, qu’un « accord politique » sur le SCAF venait d’être conclu après des « négociations intenses » entre les industriels. Et d’y voir un « signe important de l’excellence coopération franco-germano-espagnole », ajoutant qu’il « renforce les capacités militaires de l’Europe et garantit un savoir-faire important non seulement pour notre [industrie, ndlr], mais aussi pour l’industrie européenne ».

Selon l’AFP, l’Élysée a réagi avec une déclaration quasiment identique à celle faite par Mme Lambrecht, mais en ne manquant pas de rappeler que la « France assure le rôle de chef de file du projet ». À ce propos, il est étonnant que la partie française ait été devancée par Berlin pour faire cette annonce… Et à l’heure de la rédaction de cet article, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, n’a encore rien dit. En outre, Dassault Aviation n’a publié aucun communiqué et reste muet sur ses réseaux sociaux.

Pour le moment, seul Airbus s’est exprimé au sujet de cet accord qui, d’après lui, « représente un grand pas en avant pour ce programme phare de défense européen ». Cependant, a-t-il continué, un « certain nombre d’étapes formelles dans les pays respectifs doivent être franchies afin de permettre une signature rapide du contrat auquel nous devrons nous conformer ».

Pour autant, la route est encore longue est semée d’embûche. Lors de l’examen du budget allemand de la Défense 2023, la semaine passée, le Bundestag a réaffirmé sa volonté de voir le SCAF et le MCGS [Main Groun Combat System, ou, pour simplifier, le char franco-allemand du futur, dont la direction a été confiée à Berlin, ndlr] avancer au « même rythme » et défendu une « meilleure prise en compte des intérêts de l’industrie allemande ». Deux exigences qui, selon lui, ne sont actuellement pas satisfaites.

Enfin, il n’est pas impossible non plus que le Parlement français ait un mouvement d’humeur s’il considère que les intérêts de la France ne sont pas suffisamment défendus, tant pour le SCAF que pour le MGCS.

Pour rappel, parmi les six autres piliers du SCAF, celui relatif aux moteurs devait être dirigé par Safran, qui, à la demande de Berlin, a finalement dû consentir à former, avec l’allemand MTU, la co-entreprise EUMET. Et Airbus Allemagne assure la direction des travaux sur les « effecteurs connectés », avec les filiales française et allemande de MBDA ainsi que l’espagnol Satnus pour partenaires. Même choise pour le « cloud de combat », en association, cette fois, avec Thales et Indra [par ailleurs désigné « leader » pour les capteurs]. Enfin, Airbus Espagne a la main sur la furtivité, Airbus Allemagne et Dassault Aviation ayant été désigné « partenaires principaux ».

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