Otan : La Pologne songe à invoquer l’article 4 après la chute d’un missile présumé ukrainien sur son territoire

Le 15 novembre, les forces russes, dont il est dit qu’elles seraient à court de munitions, ont lancé une centaine de missiles contre le secteur énergétique ukrainien. Ces frappes ont privé plus de sept millions de foyers d’électricité, non seulement en Ukraine mais aussi en Moldavie.

« Les terroristes russes ont mené une nouvelle attaque planifiée contre les infrastructures énergétiques. La situation est critique », a commenté, plus tard, Kyrylo Tymochenko, le chef adjoint du cabinet de Volodymyr Zelenski, le président ukrainien. Et de préciser que quinze installations énergétiques à travers l’Ukraine avaient été touchées par les missiles russes.

Seulement, en début de soirée, la radio Zet a rapporté qu’une explosion venait de faire deux tués près de la localité polonaise de Przewodów, située à une dizaine de kilomètres de frontière avec l’Ukraine et à une cinquantaine de kilomètres au nord de la ville ukrainienne de Lviv, visée par les frappes russes au cours de la journée.

Et d’évoquer ensuite la piste d’un missile de croisière russe, sur la foi d’une « information » Mateusz Lachowski, correspondant de Polsat News à Kiev. « J’ai eu une conversation téléphonique avec un expert qui a estimé que les restes de ce missile de croisière ressemblaient à ceux d’un Kh-101. De tels missiles de croisière ont été utilisés par les Russes aujourd’hui pour tirer sur des cibles en Ukraine », a-t-il assuré… malgré l’absence, du moins a priori, de cratère dans la zone de l’impact.

Dans la foulée, affirmant sa solidarité à l’égard de la Pologne, l’Estonie s’est dit prête à « défendre chaque centimètre du territoire de l’Otan ». Et la Lettonie, via son ministre de la Défense, Artis Pabriks, a accusé le « régime criminel de la Russie », dont les « missiles […] ont atteint le territoire polonais ».

Puis, le président ukrainien n’a pas manqué d’accuser les forces russes, y voyant une « escalade très importante ». Et d’insister : « Nous devons agir », alors que son pays n’est pas membre de l’Otan.

De son côté, la Russie a immédiatement démenti être à l’origine de l’explosion survenue en Pologne. « Les déclarations de médias polonais et de responsables officiels sur une prétendue chute de missiles russes près de la localité de Przewodów relève de la provocation intentionnelle dans le but de créer une escalade de la situation », a répondu le ministère russe de la Défense, laissant entendre que l’Ukraine en serait la responsable.

La réponse de Kiev n’aura pas tardé. « La Russie promeut maintenant une théorie du complot selon laquelle il s’agirait d’un missile de la défense aérienne ukrainienne qui serait tombé sur le territoire de la Pologne. Ce qui n’est pas vrai. Personne ne devrait adhérer à la propagande russe ou amplifier ses messages », a fait valoir Dmytro Kuleba, le ministre des Affaires étrangères, via Twitter.

« Une réponse collective aux actions russes doit être dure et fondée sur des principes. Parmi les actions immédiates : un sommet de l’Otan avec la participation de l’Ukraine pour élaborer de nouvelles actions conjointes, qui forceront la Russie à changer de cap sur l’escalade, et fournir à l’Ukraine des avions modernes », a-t-il aussi fait valoir, via le même canal.

Seulement, les choses ne sont pas aussi claires que le prétend le chef de la diplomatie ukrainienne. Pendant qu’un Conseil de la sécurité nationale était convoqué à Varsovie, le Pentagone a affirmé qu’il n’avait « pas assez d’élément à ce stade » pour confirmer ou non la piste d’un missile russe. En France, le ministère des Armées a indiqué procéder à une « levée de doute ».

Effectivement, l’analyse des débris de l’engin tombé à Przewodów, dont des photographies ont été diffusées via la réseaux sociaux, a suggéré qu’il s’agissait d’un missile de défense aérienne S-300… et non d’un Kh-101. Les forces russes en utilisent en mode sol-sol… leur portée aurait été insuffisante pour atteindre la localité polonaise depuis les territoires qu’elles contrôlent. À moins, sans doute, d’en tirer depuis la Biélorussie.

Cela étant, le projet « Ukraine Weapons Tracker », en collaboration avec le spécialiste Neil Gibson, a déterminé que les débris en question étaient ceux d’un moteur 48D6 d’un missile appartenant à la série 5V55 d’un système S-300 probablement ukrainien.

Aussi, ce 16 novembre, à l’issue d’une réunion du G7 tenue en marge du G20, organisé à Bali [Indonésie], le président américain, Joe Biden, s’est montré très prudent. « Les premières informations [dont nous disposons] contredisent cela [c’est à dire l’idée d’un missile tiré depuis la Russie, ndlr]. Je ne veux pas me prononcer avant que nous n’ayons terminé l’enquête mais, selon la trajectoire [du missile], il semble peu probable qu’il ait été tiré de Russie. Nous verrons », a-t-il dit. « Les États-Unis et les pays membres de l’Otan mèneront une enquête complète avant d’agir », a-t-il ajouté.

Et, après de nombreux commentaires [dans les médias et sur les réseaux sociaux, ndlr] sur l’éventualité d’une extension du conflit russo-ukrainien, avec l’hypothèse d’un recours à la clause de défense collective prévue par l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, la Pologne a seulement confirmé que le projectile tombé à Przewodów était de « fabrication russe » [comme le S-300, ndlr] et que, en conséquence, l’ambassadeur de Russie serait convoqué pour « des explications détaillées ».

Puis le président polonais, Andrzej Duda, a déclaré qu’il n’y avait pour le moment « aucune preuve univoque sur qui a lancé ce missile ». Et d’estimer qu’il s’agit d’un « incident isolé » et que « rien n’indique que d’autres suivront ».

À Paris, l’Élysée a soutenu la nécessité de « regarder les faits de manière très précise » car « c’est une affaire sur laquelle on ne peut pas se tromper […] et que « compte-tenu des enjeux, il est logique que l’on aborde la question avec la plus grande prudence ». Et d’ajouter : « Beaucoup de pays disposent du même type d’armements et donc identifier le type de missile n’est pas forcément identifier l’acteur qui l’a mis en oeuvre. [Aussi,] nous nous prononcerons sur l’objet, sur son origine, sur les modalités de la frappe une fois que nous aurons les résultats de l’enquête ».

Cependant, la ministre belge de la Défense, Ludivine Dedonder, a été la première responsable européenne à évoquer explicitement l’hypothèse d’un S-300 ukrainien. « Selon les infos actuelles, les frappes en Pologne pourraient être le résultat des systèmes de défense anti-aérien ukrainiens. Des débris de missiles russes et d’un missile anti-aérien ukrainien auraient atterri en Pologne. Ceci doit encore être confirmé par l’analyse en cours », a-t-elle affirmé. « Les investigations se poursuivent, actuellement rien n’indique qu’il s’agisse d’une attaque délibérée », a-t-elle ajouté, via un communiqué.

Cette piste est aussi avancée par des responsables américains, cités par l’Associated Press. « Les premiers éléments suggèrent que le missile qui a frappé la Pologne a été tiré par les forces ukrainiennes sur un missile russe entrant », ont-ils dit.

En attendant, Varsovie a placé certaines de ses forces en état d’alerte, une réunion des ambassadeurs de l’Otan a été convoquée en urgence pour évoquer cette affaire. Et, à cette occasion, l’exécutif polonais va probablement invoquer l’article 4 du Traité de l’Atlantique Nord. « Les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée », stipule ce texte.

Depuis la création de l’Otan, l’article 4 a été invoqué à au moins cinq reprises par la Turquie [en 2003, ce qui a donné lieu à l’opération Display Deterrence, deux fois en 2012, en 2015 et en 2020] et par la Pologne, en 2014, en raison, déjà, de la situation en Ukraine. En outre Varsovie avait émis l’idée d’y avoir de nouveau recours pour faire face à l’afflux de migrants depuis la Biélorussie, en novembre 2021, de même qu’après le début de la guerre en Ukraine.

À noter que ce n’est pas la première fois que la guerre russo-ukranienne « déborde » vers les pays riverains, par ailleurs membres de l’Otan et de l’Union européenne. En mars, un drone Tu-141, de conception soviétique et doté d’une bombe OFAB-100-120, s’était écrasé sur un quartier de Zagreb [Croatie], sans faire de victime. Les conclusions de l’enquête n’ont toujours pas été publiées.

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