Les industriels allemands dénoncent leur mise à l’écart de la maintenance des futurs F-35A de la Luftwaffe

Acquérir des avions de combat pour plusieurs milliards d’euros est toujours un investissement important. Mais il n’est qu’une partie des dépenses qu’il faudra consentir pour le maintien en condition opérationnelle [MCO] et la modernisation de ces appareils durant les trente ou quarante ans [voire plus] pendant lesquels ils seront en service. Ainsi, celles-ci peuvent représenter jusqu’à 70% des coûts totaux.

Or, et alors que Berlin a la ferme intention de se procurer 35 chasseurs-bombardiers F-35A auprès de Lockheed-Martin, après avoir confirmé la commande de 5 avions de patrouille maritime P-8A Poseidon et de 60 hélicoptères de transport lourd CH-47F Chinook [l’un et l’autre produits par Boeing], les industriels allemands du secteur de l’aéronautique craignent de voir passer la manne du MCO de ces appareils de facture américaine sous leur nez.

Tel est, en tout cas, l’avertissement lancé cette semaine par la BDLI, l’Association de l’industrie aéronautique et spatiale allemande [Bundesverband der Deutschen Luft- und Raumfahrtindustrie e.V.], qui n’a pas ménagé ses critiques contre la gestion des programmes d’armement par le ministère allemand de la Défense. Elle a même diffusé une brochure [.pdf] pour souligner les risques « considérables » pour la souveraineté nationale et l’autonomie d’action » qu’il y aurait à acquérir des appareils américains sans aucune contrepartie industrielle et technologique.

Certes, s’agissant de l’achat des P-8A Poseidon et des CH-47F Chinook, Boeing a noué des partenariats avec plusieurs entreprises allemandes, dont Airbus et Lufthansa Technik, mais aussi avec des filiales de prestataires américains établies en Allemagne, comme Honeywell Aerospace.

Les accords ainsi signés visent notamment à « explorer de potentiels domaines de collaboration autour de la formation, de la maintenance ou de l’intégration de systèmes ». Mais, à en croire la BDLI, aucune exigence contractuelle n’aurait été imposée à Boeing par le ministère allemand de la Défense pour impliquer l’industrie d’outre-Rhin dans le soutien des CH-47F et des P-8A Poseidon.

« Tant qu’il n’y aura pas d’exigence contractuelle, Boeing n’éprouvera pas le besoin d’impliquer l’industrie allemande dans le soutien des hélicoptères », a ainsi souligné Wolfgang Schoder, directeur d’Aibus Helicopters Deutschland et membre du conseil d’administration de la BDLI.

Et cela vaut aussi pour les F-35A que Berlin souhaite acquérir afin de remplacer les PANAVIA Tornado et permettre à la Luftwaffe de maintenir sa participation à la dissuasion nucléaire de l’Otan. Selon la BDLI, le gouvernement allemand n’a exigé aucune contrepartie industrielle en matière de MCO.

« Lors de leur ‘virée shopping’ aux États-Unis, les reponsables [allemands] n’ont pas réfléchi aux détails et aux conséquences pour l’industrie. D’autres pays, quand ils passent des commandes à des entreprises étrangères, exigent des retours industriels et imposent des conditions pour pouvoir utiliser les appareils en fonction de leurs propres besoins », a relevé un responsable allemand dans les pages de l’hebdomadaire Witschafts Woche. Là, a-t-il continué, « nous voulons juste envoyer une valise d’argent aux États-Unis ».

Vice-président de la BDLI et par ailleur Pdg d’Autoflug GmbH, Martin Kroell, ne dit pas autre chose. « L’argent que nous dépensons aux États-Unis ne revient pas » alors qu’une « participation de l’industrie nationale rapporte et crée des emplois », a-t-il soutenu au quotidien Die Welt.

En outre, M. Kroell a également souligné le risque d’une perte de compétences. « Il ne s’agit pas seulement de maintenance et d’assistance, mais aussi de politique industrielle stratégique », a-t-il affirmé. Responsable du groupe Diehl, Gerdo Walle a estimé que la « manière dont le gouvernement achète des armes aux États-Unis fait courir le risque d’une perte de technologies clés importants », et donc « de l’autonomie allemande en matière d’armement ».

« En ce qui concerne la souveraineté allemande, nous devons nous assurer que nous ne nous remettrons pas complétement entre les mains des Américains pendant les 30 ou 50 prochaines années », a rebondi Martin Kroell. Cela pourrait avoir, a-t-il plaidé, des « conséquences tout aussi néfastes que la dépendance vis-à-vis de la Russie, pour l’énergie et les matières premières, et de la Chine, pour les semi-conducteurs ».

Cela étant, du côté du ministère allemand de la Défense, on estime qu’une implication de l’industrie nationale ne ferait que compliquer le processus d’approvisionnement aux États-Unis… Et, par conséquent, de le retarder et d’en faire augmenter les coûts. Ce qu’admet la BDLI, mais uniquement pour l’achat des appareils… Car l’enjeu porte bien sur l’entretien de ces derniers, et donc sur leur disponibilité.

« Le recours à une industrie de l’armement innovante, compétitive et efficace en Allemagne, avec des employés hautement qualifiés, est la garantie d’une haute disponibilité opérationnelle » des aéronefs, fait d’alleurs valoir la BDLI.

Photo : F-35A norvégien – Minsitère norvégien de la Défense

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]