Guerre 14-18 : Quand l’armée française réinventa… l’arbalète

La Première Guerre Mondiale donna lieu à une « course » technologique entre les belligérants, avec, par exemple, l’apparition du char et les progrès réalisés dans les domaine de l’aéronautique, de l’artillerie ou encore de la guerre navale. Souvent, ces innovations ne furent que la concrétisation de concepts imaginés bien avant le début du conflit, quand elles n’étaient pas des perfectionnements d’armes qui existaient déjà.

Et, à l’époque, comme l’a démonté le colonel Michel Goya, l’armée française ne rechignait pas à exploiter les inventions de ses soldats, comme ce fut le cas avec l’obusier portable pneumatique de 60 mm à tir courbe inventé par Edgar Brandt, qui était une réponse au Minenwerfer allemand. Cela étant, d’autres « innovations » plus originales furent également encouragées. Comme la « Sauterelle d’Imphy », imaginée par le capitaine Élie André Broca.

Singulier personnage que cet officier d’artillerie. Fils d’un célèbre neurochirurgien, André Broca a vingt ans quand il intègre l’École polytechnique. Sous-lieutenant d’artillerie en 1885, il démissionne de l’armée après trois années de service pour devenir préparateur au laboratoire de physique de la faculté de médecine, avant d’être reçu docteur en médecine et de devenir agrégé de sciences physiques.

Nommé répétiteur à l’École polytechnique en 1905, il s’associe avec l’ingénieur Philibert Pellin pour inventer le prisme à déviation constante de 90° pour la spectroscopie. Puis, quand survient la guerre, il est mobilisé en tant que capitaine d’artillerie. Et, afin de répondre également au Minenwerfer allemand, qui envoyait des obus en cloche en direction des tranchées françaises, le capitaine Broca a l’idée de s’inspirer de… l’arbalète pour expédier des grenades sur les positions ennemies. Ce qui aboutira à la « Sauterelle d’Imphy de type A ».

Le principe de l’arbalète remonterait au Ve siècle avant Jésus-Christ, la trace d’une telle arme ayant été retrouvée en Chine, où elle aurait fait son apparition durant la « Période des Royaumes combattants », ainsi qu’en Grèce, à la même époque [on parlait alors de « gastrophète »].

Quoi qu’il en soit, l’invention du capitaine Broca a fait l’objet d’un dépôt de brevet [n°502.158], le 13 mars 1915. « La présente invention a pour objet un système de lance-bombes dit ‘Sauterelle’, destiné à projeter jusqu’à quelques centaines de mètres, au moyen de l’énergie emmagasinée dans des ressorts présentant une inertie aussi faible que possible, des grenades, des bombes et autres engins, ces projectiles pesant de 1 à 10 kilos, ou même davantage », est-il avancé dans cette demande.

Et cette « arbalète » y est décrite de la manière suivante : « La particularité essentielle de ce système de sauterelle est qu’il comprend une paire de ressorts constitués chacun d’un ou plusieurs éléments de tiges droites formant ressorts de torsion et dont les angles de déformation s’ajoutent pour atteindre environ 90° à pleine tension ».

D’une masse de 29 kg, simple à construire [et donc plus rapidement disponible à faible coût], maniable et facile à mettre en oeuvre [par deux servants] et affichant une cadence de tir de quatre coups à la minutes, la « Sauterelle » du capitaine Broca sera rapidement adoptée par l’armée française, qui en fera fabriquer, entre 1915 et 1917, un millier d’exemplaires par l’aciérie d’Imphy [Nièvre], alors propriété de la société Commentry Fourchambault et Decazeville. D’où le nom de « Sauterelle d’Imphy ».

Selon la notice d’utilisation, cette arme disposait d’une règle métallique graduée en centimètres, de 40 à 76, sur laquelle glissait un curseur. Pour envoyer une grenade à une distance donnée, il fallait consulter une table de tir pour régler la hausse. Une fois le curseur bien serré, il restait à tendre les ressorts avec des manivelles… Puis lâcher la grenade.

Un modèle plus imposant sera développé par la suite, afin de lancer des projectiles plus lourds… Mais sans succès.

Quant au capitaine Broca, il sera affecté à la Direction des inventions dans la section marine en 1917. Il y contribuera à mettre au point l’hydrophone à écoute directe Walser [du nom du lieutenant de vaisseau Georges Walser] pour détecter les sous-marins. Après la guerre, il dirigera la chaire de physique médicale et le laboratoire de physiothérapie de l’hôpital Saint-Louis, avant d’être élu à l’Académie de médecine.

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