Le ministère des Armées va soutenir au moins quatre projets relatifs à la « guerre cognitive »

Dans les grandes lignes, la « guerre cognitive » consiste à manipuler l’opinion publique d’un pays en vue d’obtenir un effet tactique, voire stratégique quand il est question de mener une opération de déstabilisation sur le long terme. En clair, il s’agit de faire du cerveau un champ de bataille en diffusant de fausses informations et/ou en ayant recours à l’ingénierie sociale ainsi qu’à la psychologie… Ce qui n’est pas nouveau.

En revanche, par le passé, la portée de la « guerre cognitive » était limitée, les canaux de communication n’étant alors pas aussi nombreux qu’aujourd’hui, avec le développement d’Internet et l’usage des réseaux sociaux. En outre, certaines nouvelles technologies se prêtent à la manipulation de l’opinion. Ainsi en est-il de celle dite des « deepfakes » [ou « hypertrucages »], laquelle utilise l’intelligence artificielle pour modifier une vidéo afin, par exemple, de faire tenir à une personnalité des propos qu’elle n’a jamais tenus.

En novembre 2021, et afin de parer cette menace, Florence Parly, alors ministre des Armées, avait dévoilé le projet MYRIADE, afin de « mieux comprendre, d’anticiper et d’identifier les facteurs critiques de ce nouveau domaine potentiel de conflictualité, dans une démarche innovante impliquant plusieurs services du ministère et pouvant associer des PME et des start-ups sur la question des menaces cognitives ».

Puis, six mois plus tard, et via le dispositif ASTRID [Accompagnement Spécifique des Travaux de Recherches et d’Innovation Défense], qui vise à soutenir des projets de recherche duaux à caractère fortement exploratoire et innovant, l’Agence de l’Innovation de Défense [AID] appella les « acteurs des tissus académiques, les institutionnels et les industriels, à s’unir pour proposer des travaux permettant de préparer au mieux les confrontations de demain » dans le domaine de la guerre cognitive.

« Après le combat sur terre, sur les mers, dans les airs, dans l’espace et le cyberespace, un sixième domaine d’intervention va devenir de plus en plus marqué. Avec les guerres cognitives, les guerres se font et se feront également dans les têtes. Il s’agit d’un espace opérationnel qu’il nous faut continuer à mieux explorer pour nous prémunir de ces menaces et pour savoir agir », avait alors justifié l’AID.

Récemment, l’Agence nationale de la recherche [ANR] et l’AID ont dévoilé quatre projets retenus dans le cadre de l’appel lancé en mai dernier [.pdf]. Deux autres ont été placés sur une « liste complémentaire ». Si leur contenu n’a pas été précisé, leur intitulé donne cependant une idée des priorités du ministère des Armées.

Ainsi, parmi ces projets de recherche, deux concernent la lutte contre la diffusion de bobards, dont DeTOX, qui vise à contrer les « vidéos hyper-truquées de personnalités françaises », et TRADEF, qui propose de « suivre et de détecter les fausses informations et les ‘deepfakes’ dans les réseaux sociaux arabes ».

Le projet SPREADS doit permettre de « scénariser l’évolution des risques potentiels à travers les algorithmes et les données dans les sciences ». Enfin, GECKO devrait donner lieu à un « laboratoire de conception pour l’étude de la guerre cognitive ».

S’agissant des deux projets mis sur une liste complémentaire, CIGAIA porte sur l’actualité immédiate étant donné qu’il propose d’étudier « l’argumentation et la contre-argumentation par l’utilisation d’un algorithme d’intelligence artificielle » dans le cadre de la guerre en Ukraine tandis que ANTIGONE vise à « répérer les biais cognitifs pour s’aguerrir dans un contexte de guerre cognitive ».

Cela étant, la guerre cognitive pose des défis éthiques, moraux voire juridiques… l’une des difficultés étant de savoir précisément ce qui en relève. Par exemple, l’émergence d’un mouvement social, due à la contestation de mesures gouvernementales, n’est pas forcément encouragée par une puissance étrangère lambda [même si celle-ci peut y trouver son compte]. En clair, il ne faudrait que des outils mis au point pour mener cette guerre cognitive soient utilisés à d’autres fins. Mais comme le souligne l’AID, « il convient de se donner le droit et les moyens d’agir de manière responsable, sans angélisme dans un monde où pour nos adversaires ‘tous les coups sont permis' ».

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