Outre-Mer : Selon le Sénat, le soutien des forces de souveraineté est « parfois sacrifié »

Plusieurs rapports récemment publiés ont établi le même constat : les moyens alloués aux forces de souveraineté, présentes dans les départements et les territoires d’outre-Mer, sont insuffisants pour leur permettre de mener à bien l’ensemble de leurs missions. Et cela, malgré leur contributions aux principales « fonctions stratégiques » [connaissance et anticipation, prévention, protection et intervention] et leur éventuel appui à la dissuasion.

La situation de ces forces de souveraineté s’est dégradée en deux temps, d’abord avec la professionnalisation des armées décidée en 1996, puis avec la Révision générale des politiques publiques [RGPP] qui, menée entre 2008 et 2013, s’est traduite par une nouvelle réduction significative de leurs effectifs [-20%], voire par des ruptures temporaires de capacité [RTC].

Cela étant, à partir de 2016, les budgets destinés à ces forces de souveraineté se sont stabilisés… Et la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 a pris acte de leur importance stratégique étant que son rapport annexé souligne la nécessité, au titre de l’ambition 2030, de « conduire [des] opérations dans le cadre d’une approche globale élargie, permise notamment par un dispositif de forces prépositionnées [déployées dans des pays étrangers dans le cadre d’accords bilatéraux de denfense, ndlr] et de forces de souveraineté, toutes deux dotées des effectifs suffisants et des équipements adéquats ».

Aussi, il a été décidé d’augmenter leurs effectifs de 2,5% d’ici 2025 et de mettre l’accent sur le renouvellement de leurs capacités, comme par exemple avec le programme de Patrouilleurs outre-Mer [POM]. Pour autant, souligne le sénateur Dominique de Legge, dans un rapport publié par la commission des Finances, « cet effort, s’il met fin à la déflation de la décennie passée, ne permet pas de renouer avec les niveaux antérieurs à 2008 ».

« Alors qu’elles doivent faire face à une menace croissante contre nos intérêts stratégiques et à une pression accrue sur les ressources naturelles de nos territoires et de notre zone économique exclusive [ZEE], les forces de souveraineté peuvent répondre aujourd’hui strictement à leurs missions du quotidien. En cas de crise, elles devront être rapidement renforcées depuis la métropole ou par une bascule de moyens entre forces prépositionnées, selon une logique d’appui mutuel », explique le parlementaire.

Aussi, poursuit-il, un « effort important apparaît essentiel pour leur permettre de répondre à l’évolution de leur environnement stratégique, au renforcement des menaces d’origine naturelle ou sécuritaire, ainsi qu’à la concurrence croissante de certains compétiteurs qui cherchent à étendre leur sphère d’influence ou à sécuriser leur accès aux ressources naturelles ».

En clair, le sénateur préconise d’aller au-delà du simple renouvellement de leurs moyens étant donné que ceux-ci sont actuellement « taillés au plus juste ». Et cela vaut pour les trois armées… Ainsi, par exemple, les Forces armées de la zone sud de l’océan Indien [FAZSO] « ne disposent aujourd’hui d’aucun moyen de remorquage, ce qui constitue aujourd’hui une source de fragilité » étant donné que « l’île de La Réunion est […] au centre de l’une des routes maritimes commerciales les plus fréquentées au monde, entre le détroit de Malacca et le cap de Bonne espérance, marquée par un trafic en forte augmentation dans une zone de passage des cyclones », note-t-il.

En outre, relève-t-il aussi, certains équipements souffrent d’une trop faible disponibilité, notamment cause de leur ancienneté, des « conditions d’environnement d’environnement plus sévères qu’en métropole » et des difficultés d’approvisionnement logistique. L’exemple des hélicoptères Puma que l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] met en oeuvre en Guyane est sans doute le plus parlant : seulement deux – sur les cinq exemplaires – sont en moyenne disponibles… Et aucun ne l’est pendant environ une dizaine de jours par an.

Outre la question des moyens se pose aussi la question des infrastructures. Infrastructures « parfois sacrifiées », dénonce le sénateur. Ainsi, détaille-t-il, les « dépenses d’investissement, qui recouvrent principalement les constructions, rénovations, réhabilitations lourdes des bâtiments d’hébergement ainsi que le maintien en condition des logements, sont marquées par une tendance baissière » alors que, « a contrario, un effort a été réalisé pour les dépenses de fonctionnement [entraînement des forces, coopération régionale, MCO des équipements, frais de déplacement, etc] ».

Entre 2010 et 2020, les dépenses d’investissement ont ainsi baissé de 13% [passant de 40 à 35 millions] alors que les dépenses de fonctionnement ont progressé de 29% sur la même période, pour s’établir à 178 millions d’euros. Résultat : le patrimoine immobilier se dégrade d’autant plus vite qu’il fait face à « un triple défi de nature structurelle », dont « le vieillissement accéléré des ouvrages en raison des conditions météorologiques [température, hygrométrie, cyclones], le coût élevé des projets, et le manque de fiabilité ou l’absence de prestataires locaux », détaille M. de Legge.

Le sénateur s’est attardé sur la situation des FAZSOI, dont les crédits dédiés aux infrastructures se sont élevés à 19 millions d’euros en 2022. Ce qui, selon lui, « ne peut qu’être considéré comme largement insuffisant pour assurer un état satisfaisant du parc », alors que les « difficultés constatées portent aussi bien sur les logements que sur les bâtiments opérationnels ».

Ainsi, l’état des infrastructures de la base aérienne 181 « Lieutenant Roland Garros » est préoccupant, alors qu’elle sert de point d’appui aux Rafale et A330 MRTT des Forces aériennes stratégiques [FAS]. Selon le parlementaire, ses locaux « ne disposent pas d’un niveau de sécurité satisfaisant et nécessitent une rénovation de 3,3 millions d’euros urgente, mais aujourd’hui reportée à 2026 ». En outre, les travaux d’entretien s’élèvent à 1,5 million d’euros par an… Seulement, avance-t-il, « aucune dépense n’a pu être effectuée en 2021 et 2022, afin de permettre le financement des contrats de performance énergétique dans les bâtiments de l’Hexagone ». Ce qui ne fera qu’augmenter la facture pour remédier à la dégradation de ses bâtiments.

Autre exemple : celui de la caserne abritant le 2e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine [RPIMa]. Si elle a récemment bénéficié d’investissements ayant permis de construire un nouvel ordinaire [ou restaurant], les travaux de maintenance lourde ont été reportés à 2024. Mais la situation est encore plus délicate pour le Détachement de Légion étrangère de Mayotte [DLEM]… mais pour des raisons différentes, à commencer par le manque de prestataires capables de réaliser des travaux d’entretien.

« Le rapporteur spécial a pu observer l’état particulièrement préoccupant de certains bâtiments, à l’instar les logements du DLEM », écrit M. de Legge dans son rapport. Une solution passerait par un déménagement vers l’ancien hôpital de Petite Terre, actuellement inoccupé. Mais les « négociations entre le DLEM, l’Agence régionale de santé et le conseil départemental, propriétaire du foncier, sont aujourd’hui à l’arrêt, ce qui apparait peu compréhensible au regard du besoin important des armées et du fait que ce local est aujourd’hui inutilisé », conclut-il.

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