Libye : La Turquie a de nouveau refusé l’inspection de l’un de ses cargos par la force navale européenne Irini

En trois ans, la situation politique et sécuritaire de la Libye ne s’est guère améliorée. Les élections prévues en 2021 n’ont pas eu lieu et, même si les principaux acteurs ont changé, le pays compte toujours deux gouvernements, celui conduit par Abdel Hamid Dbeibah, reconnu par les Nations unies, refusant de s’effacer devant celui dirigé par Fathi Bachagha, pourtant élu par le Parlement libyen. Bien que proche de la mouvance des Frères musumans et ancien ministre de l’Intérieur de l’ex-gouvernement d’union nationale [GNA], celui-ci bénéficie du soutien de l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Haftar.

Dans ce marigot, la Turquie continue à jouer sa carte en misant sur le gouvernement de M. Dbeibah. En novembre 2019, en échange de son soutien militaire qui se révélera décisif face à l’ANL, elle avait signé un protocole d’accord avec le GNA visant à préciser ses frontières maritimes avec la Libye, dans le but d’asseoir ses prétentions sur les réserves présumées de gaz naturel en Méditerranée. Seulement, les eaux territoriales grecques, chypriotes-grecques et égyptiennes de trouvent entre les deux pays…

D’où la remise en cause juridique de cet accord… et les tensions qui éclatèrent après sa signature. Tensions qui, par ailleurs, donnèrent lieu à un grave incident entre la frégate française Courbet et la marine turque, celle-ci ayant empêché le contrôle d’un cargo suspecté de contrevenir à l’embargo sur les armes décrété par les Nations unies à l’égard de la Libye.

Arrivé au pouvoir en mars 2021, M. Dbeibah, que l’on dit proche des milieux économiques turcs, réaffirma la validité de l’accord signé par son prédécesseur. Et, alors que cette affaire est depuis passée au second plan, la Turquie a poussé son avantage, début octobre, en signant avec Tripoli un mémorandum de prospection d’hydrocarbures en eaux libyennes. De quoi relancer les tensions avec la Grèce et l’Égypte.

Ce mémoradum « menace la stabilité et la sécurité en Méditerranée », a fait valoir Nikos Dendias, le ministre grec des Affaires étrangères, lors d’un déplacement au Caire, le 9 octobre. Et la Libye « n’a pas la souveraineté nécessaire sur cette zone » pour une pour nouer un tel accord qui est donc « illégal et non recevable », a-t-il ajouté, avant de prévenir qu’Athènes usera de « tous les moyens légaux pour défendre ses droits ». Son homologue égyptien, Sameh Choukri, n’a pas dit autre chose, si ce n’est que, « son mandat ayant expiré » [faute d’élections en 2021, ndlr], le gouvernement de Tripoli « n’a pas la légitimité à signer des accords ».

C’est donc dans ce contexte que l’opération navale européenne Irini, créée en 2020 pour contrôler l’embargo sur les armes devant s’appliquer à la Libye, n’a pas été en mesure de contrôler le cargo MV Matilde A, battant pavillon de la Turquie, faute d’avoir reçu l’autorisation d’Ankara. Selon les données AIS, qui permettent de suivre le trafic maritime, ce navire doit se rendre au port de Misrata [Libye].

Rappelant qu’elle tient son mandat de la résolution n°2292 du Conseil de sécurité, l’état-major d’EUNAVFOR Irini a rappelé que l’ONU demande à « tous ses membres de coopérer » dans le cadre de ces inspections.

Selon le rapport d’activité de l’opération, et depuis son lancement, Irini a arraisonné et inspecté 24 navires suspects, dont deux ont été détournés vers un port d’un État membre de l’UE où leur cargaison a été saisie. Quant à la Turquie, elle a déjà refusé à huit reprises de consentir à l’arraisonnement et à l’inspection de navires suspects. En outre, la force européenne a enquêté sur 7’298 navires marchands par le biais de demandes d’informations via des appels radio et visité 385 navires avec l’accord de leurs capitaines [approches dites amicales].

Qioi qu’il en soit, ce refus turc, qui n’est donc pas le premier et qui ne sera sans doute pas le dernier, peut être lié à la nature de la cargaison se trouvant à bord du MV Matilde A… mais aussi au fait que le commandement de la force navale d’Irini est assuré, depuis le 1er octobre, par le contre-amiral amiral grec Stylianos Dimopoulos, qui a mis sa marque à bord de la frégate HS Aegean. En outre, le patrouilleur de haute-mer [PHM, ex-aviso] français Commandant Bouan est actuellement engagé dans l’opération européenne.

Celui-ci « a notamment réalisé une 60e interrogation radio envers un navire approchant de la zone d’opération. Cette interrogation a été doublée d’une reconnaissance visuelle permettant de constater la nature et le volume de la cargaison du navire appréhendé », a précisé l Marine nationale, ce 11 octobre. Et il a également effectué « la huitième approche consentie », qui « consiste à envoyer l’équipe de visite à proximité des navires afin d’échanger des information ». Et de souligner, à cette occasion, l’apport du Système de mini-drone marine [SMDM], qui, désormais appelé « Diane », équipe le « Commandant Bouan ».

« Le SMDM Diane augmente considérablement la capacité de détection et d’identification des navires, ce qui facilite et accélère la transmission d’informations et le guidage du PHM vers les navires de commerce d’intérêt. La hauteur de vol de Diane permet d’observer l’intégralité du pont des navires et ainsi d’identifier leur cargaison et la potentielle présence de ‘caches’. En quelques minutes, le SMDM transmet les photos aux états-majors et constitue une aide à la prise de décision », a en effet expliqué la Marine nationale. A-t-il survolé le MV Matilde A?

Photo : Archive / Marine nationale

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