Le renseignement britannique met en garde contre les conséquences d’une domination technologique chinoise

Pour beaucoup, l’essor pris par la micro-informatique à partir des années 1970 est grande partie dû à l’Altaïr 8800, décrit comme ayant été le premier micro-ordinateur « grand public ». Sa commercialisation, par le constructeur américain MITS, a en effet permis à bon nombre de « hackers » [qui ne sont pas des « pirates » comme il est dit fréquemment à mauvais escient… mais des « bidouilleurs » de code informatique] d’outre-Atlantique de concevoir des machines toujours plus perfectionnées et d’en imaginer de nouveaux usages.

Et, pour schématiser à grands traits, la division du réseau Arpanet en deux domaines [l’un pour le Pentagone, l’autre pour les universités] fit le reste… pour donner naissance au monde numérique que l’on connaît aujourd’hui, marqué par la domination des GAFAM [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft]. Seulement, l’histoire aurait pu être différente… Car le premier micro-ordinateur [du moins, est-il considéré comme tel] fut le Micral, mis en point en 1972 par l’ingénieur français François Gernelle et commercialisé par la société R2E, laquelle sera reprise, en 1978, par CII Honeywell Bull, né du rachat par Honeywell de la Compagnie internationale pour l’informatique [CII], créé durant les années De Gaulle/Pompidou dans le cadre du plan calcul.

Dans le même temps, précurseur du Web d’aujourd’hui, le projet Cyclades, dont le principe était inspiré de l’Arpanet américain, était dirigé par l’ingénieur français Louis Pouzin, sous l’égide de la Délégation générale à l’informatique. Dans son livre « Souveraineté technologique française : Abandons et reconquête« , le directeur de celle-ci à l’époque, Maurice Allègre, raconte les dessous de l’abandon, par le pouvoir giscardien, et sur la base d’un rapport rédigé par Alain Minc et Simon Nora, de ce projet au profit du réseau Transpac et donc du… Minitel.

Aussi, les décisions en matière d’innovation technologique [associées à un « écosystème » trop rigide] peuvent être lourdes de conséquences, tant en termes de prosperité et, surtout, d’influence. La Chine l’a apparemment compris, si l’on en croit Jeremy Fleming, le directeur du GCHQ [Government Communications Headquarters, le service britannique dédié au renseignement électronique].

Ainsi, selon un communiqué publié par le GCHQ, M. Fleming doit évoquer ce sujet devant le Royal United Services Institute [RUSI], ce 11 octobre, pour avertir les pays occidentaux de « l’énorme menace » de la Chine, qui chercherait à asseoir sa « domination technologique » à des fins de surveillance. Et, aussi, pour imposer ses normes. Et de citer trois domaines clés : les crypto-monnaies [avec le Yuan numérique], la géolocalisation par satellite [avec le système Beidu], et, plus généralement, les technologies liées au numérique. Curieusement, il n’a pas cité explicitement le réseau 5G.

Le Parti communiste chinois cherche « à manipuler la technologie qui sous-tend la vie des gens pour ancrer son influence tant en Chine qu’à l’étranger et pour accroître la surveillance », estime M. Fleming.

Ainsi, par exemple, le « Yuan numérique » pourrait être utiliser à des fins de surveillance et de contrôle mais aussi pour permettre à Pékin de « s’affranchir partiellement du genre de sanctions internationales actuellement en place contre le régime du [président Vladimir] Poutine en Russie », explique le directeur du GCHQ. Quant au système Beidou, poursuit-il, « beaucoup pensent que la Chine est en train de se doter d’une puissante capacité anti-satellite, avec pour objectif d’empêcher les autres nations d’accéder à l’espace en cas de conflit. […] Et il y a des craintes que la technologie puisse être utilisée pour traquer les individus ».

« Au GCHQ, c’est notre privilège et aussi notre devoir de voir les moments charnières où l’Histoire change sans qu’on s’en rende compte. Ca a l’air de ressembler à un de ces moments », estime M. Fleming. « Notre avantage dans notre future stratégie technologique repose sur ce que nous décidons de faire maintenant en tant que communauté. J’ai confiance sur le fait qu’ensemble, nous pouvons tourner ce moment à notre avantage », conclut-il.

Cela étant, le GCHQ n’est pas le seul à s’inquiéter des avancées technologiques chinoises. En septembre, un rapport du « Special Competitive Studies Project », une structure dirigée par Éric Schmidt, l’ex-Pdg de Google, était allé beaucoup plus loin que M. Fleming.

« Pour comprendre les enjeux, il faut imaginer un monde dans lequel un État autoritaire contrôle l’infrastructure numérique, jouit d’une position dominante sur les plateformes technologiques mondiales, contrôle les moyens de production des technologies critiques et exploite une nouvelle vague de technologies à usage général […] afin de transformer sa société, son économie et son armée », avait résumé ce rapport.

En outre, celui-ci avait décrit un possible avenir où la Chine serait en mesure d’engranger des milliards de dollars de revenus générés par ses avancées technologiques tout en usant de son influence [via l’imposition de nouvelles normes, par exemple] pour faire valoir que « l’autocratie, et non la démocratie, est la forme supérieure de gouvernement ».

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