Le capitaine Ibrahim Traoré prend le pouvoir au Burkina Faso, après un deuxième putsch en huit mois

Lors d’une audition au Sénat, le 8 février dernier, Florence Parly, alors ministre des Armées, expliqua que le coup d’État militaire ayant renversé Marc-Roch Kaboré, le président du Burkina Faso, n’avait « pas été une surprise pour nos services de renseignement car on sentait la tension monter », en raison de la situation sécuritaire du pays, dégradée par des attaques jihadistes aussi fréquentes que meutrière.

« Je le dis avec d’autant plus de regrets que nous avions fait des propositions au président Kaboré pour lutter contre le terrorisme, qu’il n’a acceptées que quelques jours avant sa chute – quelques jours pendant lesquels nous avons pu mener des opérations très efficaces. Quant à savoir si cela aurait pu changer le cours des choses… », avait dit Mme Parly aux sénateurs.

Pour rappel, le président Kaboré avait été remplacé à la tête du pays par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, lequel fit la promesse de rétablir la sécurité dans les régions affectées par les attaques jihadistes, en particulier celles du Nord. En outre, la junte burkinabè [le « Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration »], avait trouvé un accord avec la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cédéao] sur une transition de 24 mois devant permettre le retour des civils au pouvoir.

Par ailleurs, et même si, selon Mme Parly, le lieutenant-colonel Damiba fit savoir qu’il entendait « maintenir la relation partenariale de combat » avec la force française Barkhane [dont le détachement de forces spéciales – la TF Sabre – est établi à Ouagadougou, nldr], le chef du gouvernement de transition, Albert Ouédraogo, déclara que le Burkina Faso devait « diversifier » ses partenariats militaires, « quitte à froisser des partenaires historiques ».

Puis, début septembre, le Burkina Faso et le Mali firent part de leur intention de renforcer leur coopération militaire. Plus tard, en marge de l’Assemblée générale des Nation unies, le lieutenant-colonel Damiba rencontra Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, pour évoquer le « renforcement d’une coopération mutuellement bénéfique » entre Ouagadougou et Moscou.

Visiblement, et comme le Mali, le Burkina Faso intéresse la Russie. En janvier, Evguéni Prigojine, qui, proche du chef du Kremlin, a récemment admis être le fondateur du groupe paramilitaire Wagner, avait dit voir dans le renversement du président Kaboré le signe d’une « nouvelle ère de décolonisation ». Et, devant les difficultés à rétablir la sécurité dans leur pays, certains Burkinabè ne cachèrent pas leur penchant pour une aide militaire russe.

Alors que deux attaques particulièrement meutrières ont été commises par des jihadistes contre des convois de ravitaillement dans la région de Djino [la première a fait au moins 35 morts parmi les civils tandis que le bilan de la seconde est de 11 militaires tués et de 50 civils portés disparus, ndlr], Ouagadoudou a été en proie à l’incertitude durant la journée du 30 septembre.

Le signal de la télévision nationale coupé, plusieurs axes de la capitale burkinabé bloqués par des miltaires, notamment dans les environs du quartier de Ouaga 2000, où sont installés la présidence et un camp de Baba Sy, tirs entendus, des informations contradictoires circulant sur les réseaux sociaux [dont certaines semblaient relever d’une attaque informationnelle contre la France]… Tout laissait alors à penser qu’un nouveau putsch était en cours. Ce que les autorités de transition ont d’abord démenti, expliquant qu’il s’agissait d’une « mutinerie » de soldats n’ayant pas obtenu des primes qui leur avaient été promises par le précédent gouvernement.

Puis, des manifestants se sont réunis pour exiger la libération du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana, arrêté avant le putsch de janvier 2022 et accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et le blanchiment de capitaux, ainsi que la démission du lieutenant-colonel Damiba. Et parmi eux, a constaté l’AFP, certains ont brandi des drapeaux russes et réclamé l’établissement d’une coopération militaire avec la Russie.

Cela étant, ces troubles n’étaient pas liés à une mutinerie… mais bien à un nouveau coup d’État. En effet, dans la soirée, une quinzaine de soldats, en treillis, et pour certains masqués, ont pris la parole à l’antenne de la radiotélévision nationale.

« Le lieutenant-colonel Damiba est démis de ses fonctions de président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration », a annoncé l’un d’eux [un capitaine]. « Nous avons décidé de prendre nos responsabilités, animés d’un seul idéal, la restauration de la sécurité et de l’intégrité de notre territoire. […] Notre idéal commun de départ a été trahi par notre leader en qui nous avions placé toute notre confiance. Loin de libérer les territoires occupés, les zones jadis paisibles sont passées sous contrôle terroriste », a-t-il ensuite expliqué.

Et de préciser que, désormais, le nouvel homme fort du Burkina Faso est le capitaine Ibrahim Traoré, alors chef d’une unité des forces spéciales « Cobra », déployée contre les groupes jihadistes dans la région de Kaya [nord].

Évidemment, le gouvernement et l’assemblée législatives de transition ont été dissous. Et un couvre-feu a été instauré, les frontières aériennes et terrestres fermées.

Selon Africa Intelligence, ce nouveau putsch est survenu alors que la France était sur le point de « décaisser près de 15 millions d’euros d’aide budgétaire en faveur de Ouagadougou » et qu’un « programme e soutien militaire » était « également à l’étude afin de renforcer les forces armées burkinabè face à la pression accrue des groupes jihadistes ». Pour le moment, Paris n’a pas réagi à la prise de pouvoir du capitaine Traoré.

En revanche la Cédao a « condamné avec la plus grande fermeté la prise de pouvoir par la force qui vient de s’opérer » et estime « inopportun ce nouveau coup de force au moment où des progrès ont été réalisés […] pour un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024 ».

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