Malgré les pressions, Berlin refuse toujours à livrer des chars Leopard 2 à Kiev

Début septembre, et alors qu’il devait rencontrer son homologue allemand, Olaf Scholz, le Premier ministre ukrainien, Denys Chmyhal, a plaidé pour un « changement de philosophie » dans l’aide militaire fournie aux forces armées de son pays. « Des chars de combat modernes doivent également nous être livrés. Nous attendons des États-Unis qu’ils nous fournissent des chars Abrams et de l’Allemagne, nous attendons des Leopard 2. Ce sont les chars modernes dont l’Ukraine a besoin sur le champ de bataille », a-t-il dit.

Seulement, la requête de M. Chmyhal n’a pas abouti. En effet, pour l’Allemagne, il est préférable de fournir à l’armée ukrainienne des équipements qu’elle connaît bien. D’où son initiative « Ringtausch », qui vise à remplacer des matériels d’origine soviétique livrés par des pays membres de l’Otan à l’Ukraine par des armements de facture allemande. La République tchèque, la Grèce, la Slovénie et, plus récemment, la Slovaquie, en ont bénéficié. C’est ainsi que, par exemple, l’armée tchèque a pu troquer ses chars T-72 par des Leopard 2A4 plus modernes, prélevés dans les stocks de la Bundeswehr.

Pour autant, dans le domaine de l’artillerie, l’armée ukrainienne a reçu des obusiers automoteurs et des canons de conception occidentale, comme les CAESAr français, les M142 HIMARS américain et les PzH2000 allemands…. Et elle n’a guère tardé à s’en servir, non sans succès comme en témoignent les résultats de sa contre-offensive qu’elle a lancée dans la région de Kharkiv.

Cela étant, et même si l’Espagne en a eu l’intention avant d’y renoncer [les Leopard 2 mis sous cocon qu’elle comptait envoyer à Kiev étaient en trop mauvais état, ndlr] aucun pays occidental n’a pour le moment fourni de chars modernes à l’Ukraine.

Et c’est l’un des arguments avancés par le gouvernement allemand pour justifier son refus de livrer des Leopard 2 à l’armée ukrainienne. Ainsi, M. Scholz a expliqué que l’Allemagne « ne ferait pas cavalier seul sur les livraisons d’armes sans coordination avec les alliées » de l’Otan.

Sur ce point, et comme l’a rappelé la diplomatie américaine, la décision de livrer à l’Ukraine tel ou tel type d’arme relève de chaque État… et non de l’Otan.

« Aucun argument rationnel ne permet d’expliquer pourquoi ces chars [Leopard 2] ne peuvent être fournis, seulement des excuses et des peurs abstraites », a ensuite réagi Dmytro Kuleba, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, évoquant des « signaux décevants » envoyés par l’Allemagne.

Cependant, cette affaire divise la coalition gouvernementale allemande, formée par les sociaux-démocrates, les libéraux du FDP et les Verts.

« Nous ne partageons pas la ligne défendue par la ministre de la Défense », a ainsi lancé Marie-Agnès Zimmermann, présidente FDP de la commission de la défense du Bundestag. « L’armée ukrainienne a montré de manière impressionnante qu’elle est capable d’adopter extrêmement rapidement les équipements militaires occidentaux. Nous devons en prendre note et agir en conséquence », a-t-elle fait valoir. Et Annalena Baerbock, la cheffe de la diplomatie allemande [et issue des Verts] a mis la pression sur M. Scholz, en disant souhaiter une décision « rapide » sur l’éventuelle livraison de Leopard 2 à l’Ukraine.

« Une politique étrangère guidée par les droits humains » doit « constamment se demander comment nous pouvons aider à libérer encore plus de villages, et donc à sauver des vies », notamment grâce aux livraisons de chars Leopard 2, a affirmé Mme Baerbock, dans les colonnes du quotidien « Frankfurter Allgemeine Zeitung ». Et d’insister : « Dans la phase décisive dans laquelle se trouve actuellement l’Ukraine, je ne pense pas […] qu’il s’agisse d’une décision à retarder longtemps ».

Quoi qu’il en soit, aucun char Leopard 2 ne figure dans la dernière liste des équipements que Berlin s’apprête à fournir à l’armée ukrainienne. Celle-ci comprend notamment deux lance-roquettes multiples Mars II [qui s’ajouteront aux trois déjà livrés] et cinquante véhicules de type ATF Dingo. Quant aux blindés Marder, également réclamés par l’Ukraine, plus de quarante exemplaires prendront la direction de la Grèce, qui cédera ses BMP-1 à Kiev.

« Il est important pour moi de préciser clairement que ces livraisons n’affaibliront pas les forces armées allemandes », a commenté Mme Lambrecht, le 15 septembre, lors de la conférence annuelle de la Bundeswehr. « Nous sommes toujours en mesure d’assurer la défense de l’Alliance et du pays et il est important pour moi que nos alliés sur le flanc Est puissent compter sur nous pour tenir nos promesses », a-t-elle ajouté.

Selon les plans de Berlin, la Bundeswehr devrait disposer de 328 chars Leopard 2 en 2023, dont 104 portés au standard Leopard 2A7. À titre de comparaison, l’armée de Terre ne comptera que 200 Leclerc rénovés en 2025 tandis que son homologue britannique n’en conservera que 148 sur les 225 qu’elle aligne actuellement.

Par ailleurs, livrer des chars est une chose… mais cela ne suffit pas étant donné que, au-delà de la formation des équipages, il faut aussi prévoir la mise en place la logistique nécessaire à leur utilisation, afin d’en assurer le maintien en condition opérationnelle [MCO].

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