Pour le ministre des Armées, une économie de guerre passe par une « souveraineté française industrielle »

Le 7 septembre, dans la lignée des déclarations faites durant l’été par le président Macron sur « l’économie de guerre » et alors qu’une nouvelle Loi de programmation militaire [LPM] est en train d’être élaborée, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a réuni les principaux représentants de la Base industrielle et technologique de défense [BITD], le Délégué général pour l’armement [DGA], les chefs d’état-major et le Secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale [SGDSN] afin de mettre en oeuvre un plan « concret » visant à accélérer les cadences de production et les livraisons d’équipements dont les armées auront besoin en cas de conflit de moyenne ou de haute intensité. Une hypothèse qui n’est plus exclue après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

« À bien des égards, on est dans la même situation que dans les années 1950 ou 1960, quand le général de Gaulle […] a décidé de définir une autonomie stratégique française », a déclaré M. Lecornu, à l’issue de cette table ronde. L’expression qu’il a utilisée a de quoi surprendre étant donné que, durant ces dernières années, il n’était quasiment question que d' »autonomie stratégique européenne ».

« On dit souvent allié mais non aligné » et « ça passe aussi par une capacité à développer nos propres systèmes d’armement. C’est particulièrement vrai pour notre dissuasion nucléaire mais c’est vrai aussi pour notre marine, notre artillerie […] ou notre aviation de chasse, dont le Rafale est devenu un de symboles importants », a continué le ministre. Et d’insister : « Ce qui se joue aussi dans les années qui viennent, c’est notre capacité à être autonomes. Autonomes, nous Français, parfois dans des coopérations évidemment européennes » ce qui signifie que « nous ne soyons pas dépendants d’un certain nombre de pays extérieurs ».

« C’est l’un des grands enjeux auquel nous devons faire face : être en situation d’avoir suffisamment de matériels et suffisamment vite si malheureusement il y avait un conflit de moyenne ou de haute intensité dans lequel la France serait engagée » et « en même temps de garantir aussi une autonomie, une souveraineté française en matière industrielle », a résumé M. Lecornu.

Quoi qu’il en soit, plusieurs engagements ont été pris lors de cette table ronde. Ainsi, les armées devront simplifier leur expression des besoins afin de pouvoir disposer d’équipements « plus simples et plus rustiques » en plus grand nombre.

Sur ce point, le ministre a cité le cas de l’hélicoptère NH-90, qui existe en deux versions, dont l’une est destinée à la Marine. « Ces vingt dernières années, nous ont parfois conduit à demander à certaines équipements de tout faire ou d’avoir beaucoup d’options », a-t-il relevé. Or, l’idée était de disposer d’appareils « multi-rôles » et communs aux forces armées afin de mutualiser le soutien… Ce sera d’ailleurs le cas pour le H160 « Guépard ». Faut-il en déduire qu’il y aura un changement de cap?

Cela étant, le ministère des Armées s’est engagé à réduire les procédures administratives relatives aux programmes d’armement, sans pour autant revoir à la baisse les critères de qualité. « Incontestablement, on doit savoir prendre quelques risques, y compris dans les procédures en les réduisant », a fait valoir M. Lecornu. Le DGA, Emmanuel Chiva, et son adjoint, l’ingénieur général de classe exceptionnelle de l’armement Thierry Carlier, auront à faire des propositions en la matière.

Un autre thème abordé est celui des stocks… On pensait que la pandémie de covid-19 allait se traduire par un changement d’approche dans ce domaine… Visiblement, ce n’est pas encore le cas. Pour beaucoup, « avoir du stock est un signal de mauvaise gestion », a rappelé le ministre. Désormais, il s’agit « d’inverser cette logique » en revenant à des principes de « père de famille » en constituant des réserves « solides et suffisantes ». Cela vaut pour les munitions comme pour les matières premières, quitte à rogner les marges des industriels.

« On ne va pas se raconter d’histoire. Il y a un avant et un après covid dans la manière d’aborder les stocks […]. On ferme les frontières et on découvre qu’on a des systèmes d’armes qui pourtant font partie de notre régalien profond qui, du jour au lendemain, sont privés d’une pièce à l’import parce qu’on est dépendant d’un certain nombre d’industries qui malheureusement parfois sont parties très très loin du continent européen », a rappelé M. Lecornu.

Aussi, a-t-il poursuivi, « je n’ai pas d’état d’âme : je veux un agenda de relocalisation. Si on est sur la souveraineté française, on ne peut pas comprendre qu’un certain nombre de pièces soient produites à l’étranger, parfois même par de potentiels concurrents ou compétiteurs. […] Il ne faut pas que la question de la relocalisation industrielle soit un tabou. Je ne dirai pas ‘quoi qu’il en coûte’ mais pas loin ».

Quant à l’augmentation des cadences de production, elle devrait concerner dix types d’équipements. Mais M. Lecornu en a donné trois : le obus de 155mm, les CAESAr [Camions équipés d’un système d’artillerie] et les moyens de défense sol-air. Et les objectifs sont ambitieux : ainsi, il s’agira de diviser par trois les délais de livraison, l’assemblage d’un CAESAr devant prendre 12 mois, contre plus de 30 actuellement.

Notant que d’autres pays occidentaux sont en train de mener des réflexions similaires concernant leurs capacités industrielles dans le domaine de l’armement, M. Lecornu a dit « assumer une autonomie française », voire « gaullienne en quelque sorte », sur laquelle « nous avons quelques devoirs ».

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