Le ministre de l’Intérieur veut impliquer les militaires dans le « redressement » des jeunes délinquants à Mayotte

L’encadrement de jeunes délinquants par des militaires est une idée qui revient régulièrement dans le débat politique. Comme lors de l’élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal, alors candidate du Parti socialiste [PS], ayant proposé une telle mesure [ce qu’elle fera de nouveau trois ans plus tard]. Puis Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes [Les Républicains, ex-UMP], déposa une proposition de loi – adoptée par le Parlement en décembre 2021 – prévoyant pour les délinquants de plus de 16 ans un service « citoyen » de six à 12 mois au sein d’un Établissement public d’insertion de la Défense [EPIDE]. Mais cela ne déboucha sur rien de concret.

En 2020, le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, reprit cette idée à son compte. « Je souhaite effectivement qu’il y ait un partenariat Justice/Armée pour certains mineurs, pour certains jeunes majeurs parce que je ne peux pas me résoudre à ce que de jeunes français sifflent la Marseillaise, crachent sur notre drapeau. Mais je dis également que quand on regarde un gamin, issu de l’immigration en particulier, comme un Français, il devient français », expliqua-t-il alors.

Cette proposition fit son chemin. Moins d’un an après, et malgré le quelques réserves exprimées par le général François Lecointre, alors chef d’état-major des armées [« Les armées sont faites pour faire la guerre, elles ne sont pas faites prioritairement pour participer à l’éducation ou à la ‘correction’ […] de la jeunesse délinquante », avait-il dit aux sénateurs, ndlr], les ministères de la Justice et des Armées signèrent un protocole visant à « favoriser l’insertion sociale et professionnelle de jeunes Français confiés par l’autorité judiciaire à la Protection judiciaire de la jeunesse [PJJ] ».

Et il était alors question d’expérimenter de « nouveaux domaines d’action », comme la création d’un « parcours d’inspiration militaire dans le projet pédagogique d’un établissement de la PJJ ». Ce qui se concrétisa, en décembre 2021, par une initiative menée en partenariat avec l’association IRVIN et l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, au profit de jeunes du Centre Éducatif Renforcé [CER] d’Évreux, lequel prend en charge des « mineurs délinquants ou en situation de grande marginalisation, et qui doivent répondre au risque de récidive et d’incarcération ». Si le ministère de la Justice a communiqué au moment de son lancement, il a été beaucoup plus discret par la suite.

Cela étant, lors du débat entre les deux tours de la dernière élection présidentielle qui l’opposait à Marine Le Pen, Emmanuel Macron évoqua un encadrement des jeunes délinquants par les militaires.

« Pour les mineurs on a fait la réforme de l’ordonnance qui permet une justice qui passe beaucoup plus vite. Il faut le permettre d’avoir de la rétention soit dans un environnement militaire, ce qui est une de mes propositions, soit des travaux d’intérêts généraux sous contrôle pour en particulier les plus petits délinquants », avait en effet affirmé M. Macron.

Lors d’un déplacement à Mayotte, département français [depuis 2011, ndlr] rongé par de graves problèmes de pauvreté, d’immigration et de délinquance, et alors que le Garde des Sceaux venait d’annoncer la création prochaine d’un centre éducatif fermé [CEF], le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a fait savoir qu’il ferait des propositions au président de la République pour ouvrir des « lieux de rééducation et de redressement » pour les jeunes délinquants, lesquels seraient encadrés par des militaires.

« Le président de la République, dans sa campagne, a proposé quelque chose qui n’a pas beaucoup été discuté : des lieux encadrés par des militaires, qui sont des lieux de rééducation, de redressement d’une partie des enfants, des adolescents très jeunes, qui n’ont pas de parents, ou si peu. On l’a vu un peu à la Réunion, on le voit beaucoup ici à Mayotte », a déclaré M. Darmanin, le 22 août.

Et de justifier une telle mesure par les confidences faites « en aparté » par les policiers et les gendarmes affectés à Mayotte, ceux-ci lui ayant expliqué qu’ils faisaient face à des « mineurs de 11 ans, de 10 ans, de neuf ans », armés de « machettes » et de « haches ». « Aujourd’hui, les magistrats, et c’est bien normal, les libèrent, puisqu’on ne met pas les enfants en prison [qui est l’école du vice quand on a cet âge-là], mais il faut pourtant leur offrir un lieu de sanction et d’éducation, j’allais dire de rééducation », a poursuivi le ministre de l’Intérieur.

Voilà ce qui ne manquera pas de faire penser aux « Bataillons d’infanterie légère d’Afrique [BILA] » qui, selon la loi du 21 mars 1905 sur le service militaire, étaient essentiellement constitués de conscrits ayant fait l’objet de plusieurs condamnations prononcées par la justice…

Quoi qu’il en soit, le département de Mayotte relève des Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien [FAZSOI], qui comptent environ 1600 militaires et 300 civils de la défense.

La Marine nationale y dispose d’une base navale, dont la mission principale est « d’assurer la permanence de la lutte contre l’immigration clandestine », explique le ministère des Armées. Quant à l’armée de Terre, elle y a affecté le Détachement de Légion étrangère de Mayotte [DLEM], basé à Dzaoudzi. Cette unité, forte de 270 hommes [dont une centaine de permanent, les autres étant en Mission de Courte Durée de 4 mois], compte une compagnie de commandement et de logistique [CCL] et une compagnie de combat. En outre, elle arme le Centre d’instruction et d’aguerrissement nautique.

Aussi, il reste à voir comment la proposition de M. Darmanin, si elle est acceptée, pourra être mise en oeuvre… Le ministère des Armées n’ayant, a priori, pas été consulté [en tout cas, M. Lecornu n’a pas encore commenté les propos de son collègue de l’Intérieur], il est possible que ce « lieu de redressement » ainsi annoncé soit tenu par des gendarmes, qui ont gardé leur statut militaire…

Photo : Pierrot75005 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

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