« Les temps qui sont devant nous vont être durs », prévient le chef d’état-major de la Marine nationale

« Les larmes de nos souverains ont souvent le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée »… Cette formule, prêtée au cardinal de Richelieu, est plus que jamais d’actualité au regard de la dépendance de l’Europe par rapport aux flux maritimes, laquelle va encore s’accentuer avec la nécessité de compenser les effets des sanctions contre la Russie dans le domaine de l’énergie] et au réarmement naval massif auquel on assiste depuis maintenant plusieurs années. Et c’est sans oublier la remise en cause du droit maritime international, les différents territoriaux et les questions environnementales.

Pourtant, et alors que certaines de ces tendances sont désormais ancienne [on parle de la montée en puissance de la marine chinoise, pour ne citer qu’elle, depuis une quinzaine d’années], la France, qui possède le second domaine maritime mondial, a réduit de moitié le format de la Marine nationale depuis la fin de la Guerre Froide.

Cela s’est notamment traduit, et sous couvert d’économies budgétaires pourtant loin d’être évidentes, par une diminution de la commande de frégates multimissions [passée de 17 à 11 en 2008, puis de 11 à 8 par la suite] ainsi par le report de certains programmes, au risque de créer des ruptures temporaires de capacité [RTC] susceptibles de devenir définitives. Et les chefs d’état-major qui se sont succédé à sa tête ont tous peu ou prou dénoncé le format insuffisant de la Marine au regard de ses contrats opérationnels.

Cela étant, dans la cadre de la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25, une remontée en puissance a été amorcée, avec l’admission au service du premier des six sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de type Suffren et le lancement de programmes importants, comme les Patrouilleurs outre-Mer [POM], les Bâtiments ravailleurs de force [BRF], les Patrouilleurs océaniques [PO], les Frégates de défense et d’intervention [cinq exemplaires prévus] ou encore comme les études relatives au sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] de 3e génération et au Porte-avions de nouvelle génération [PANG].

Seulement, et comme l’a justement souligné l’amiral Pierre Vandier, le chef de la Marine nationale [CEMM], lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 27 juillet, les décisions prises maintenant ne pourront produire leurs effets que bien plus tard. « Il faut vingt ans pour former un commandant de sous-marin et autant de temps pour construire son bateau. C’est la génération de nos parents qui a dessiné et construit le [porte-avions] Charles de Gaulle. C’est à la nôtre qu’il revient de construire les outils militaires qui défendront la génération de nos enfants et petits-enfants dans les quarante prochaines années ».

En attendant, la « Royale » s’attend à connaître de « très fortes réductions temporaires de capacités »… Et « sous les segments sont concernés », a prévenu l’amiral Vandier.

« On va descendre à quatre SNA pour les deux prochaines années, compte tenu du rythme de réparation des cinq sous-marins que nous détenons et des livraisons des suivants. S’agissant des patrouilleurs, la cible va descendre à 50 % de ce qui est prévu pour 2030. Pour les patrouilleurs outre-mer, on remontera à 100 % en 2025. Par ailleurs, nous n’aurons que deux bâtiments ravitailleurs de force d’ici à 2029, au lieu de quatre », a en effet détaillé le CEMM, qui a évoqué des « choix cornéliens qu’il conviendra de trancher cet automne ».

Pour l’amiral Vandier, le « principal frein à l’extention du format de la marine est budgétaire, pas industriel » et « compte-tenu des contraintes financières, le principal levier d’accélération est l’innovation et la valorisation des plateformes ». Or, a-t-il aussi souligné, « c’est ce qu’on a en stock au soir de la guerre qui permet de la gagner ».

Et, visiblement, le CEMM estime qu’un conflit est quasiment inéluctable. « Comment gagner le match qui s’annonce? », a-t-il en effet demandé aux députés, alors que le temps et les moyens de la Marine sont comptés? En premier lieu, a-t-il poursuivi, il « faut maintenir le cap et tenir la ligne », c’est à dire les « choix structurants » qui ont été faits ces cinq dernières années. Cependant, il « reste des capacités que nous devons impérativement lancer pour garantir la cohérence de nos contrats opérationnel », a-t-il dit.

Ensuite, l’amiral Vandier a estimé nécessaire, au vu de l’état de la menace, « d’épaissir là où il est intelligent et possible de le faire » [avec une priorité donnée aux stocks de munitions] et « d’accélérer » en matière d’innovation.

« Nos plateformes doivent évoluer au rythme de la technologie, et pas seulement tous les vingt ans, comme c’est le cas actuellement, avec des rénovations à mi vie. Pour la Marine, l’économie de guerre, c’est la capacité de l’industrie à booster la performance des systèmes d’armes actuels et à répondre à des besoins opérationnels nouveaux dans un temps court : les drones, le traitement de masse des données, avec les jumeaux numériques embarqués, le maintien en condition opérationnelle [MCO] prédictif, les armes à énergie dirigée », a détaillé le CEMM.

En tout cas, la première exigence de l’amiral Vandier est que la Marine soit capable, à court terme, de « combattre avec les moyens » dont elle dispose et « d’en tirer les meilleurs bénéfices », ce qui passera aussi par le durcissement de la préparation opérationnelle des équipages et le développement de leur « force morale ». Mais cela ne résoud pas le problème de la « masse »…

Aussi, le second axe d’effort décrit par le CEMM consistera à « aller chercher, dans la coopération avec nos alliés, ce qui nous manque, pour parvenir à la masse critique », ce qui signifie qu’il faudra « continuer à développer l’interopérabilité de nos systèmes, d’autant que l’accélération technologique la rend plus complexe » et « préparer la capacité à combattre ensemble »… Car, a-t-il ajouté, « contre la marine chinoise, nous gagnerons si nous nous battons ensemble, en coalition ».

Quoi qu’il en soit, l’amiral Vandier s’attend à un avenir sombre. « Les temps qui sont devant nous vont être durs. Notre responsabilité vis-à-vis des génération futures est historique. Il est donc temps de se battre comme des diables ».

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