La Suisse refuse de vendre à la Pologne ses chars Leopard 2A4 mis en réserve

Ayant transféré aux forces ukrainiennes une bonne partie de ses chars T-72 hérités de la période soviétique [le nombre exact n’a pas été confirmé officiellement mais il serait question de 200 exemplaires, ndlr], la Pologne s’emploie désormais à les remplacer, alors que le Royaume-Uni s’était dit prêt à combler ce déficit capacitaire temporaire.

Pour cela, Varsovie comptait sur l’initiative « Ringstausch » qui, justement, prévoit le remplacement par l’Allemagne des équipements datant de la période soviétique livrés à l’Ukraine par les pays membres de l’Otan.

La République tchèque, qui a donné aux forces ukraniennes une partie de ses T-72M1, doit en bénéficier, Berlin ayant annoncé son intention de lui livrer une quinzaine de chars Leopard 2A4 prélevés sur les stocks de la Bundeswehr. En outre, Prague a engagé des discussions pour acquérir 50 Leopard 2A7+. La Slovénie et la Grèce auront également accès ce dispositif après avoir respectivement transféré à l’Ukraine leurs chars M-84 et leurs véhicules de combat d’infanterie BMP-1.

Seulement, il en va autrement pour la Pologne. Le gouvernement allemand « n’a pas tenu ses promesses […] et franchement, nous en sommes très déçu », a récemment lâché Andrzej Duda, le président polonais. « Nous avons fourni à l’Ukraine un grand nombre de chars. Ce faisant, nous avons affaibli notre propre potentiel militaire et nous avons épuisé nos propres stocks militaires. C’est pourquoi la Pologne espérait également le soutien de l’Allemagne », a-t-il rappelé.

À Berlin, on fait valoir qu’il n’est pas possible de « livrer du matériel lourd en appuyant sur un bouton ou en claquant des doigts ». Il est « important que nous soyons en communication constante les uns avec les autres afin d’éviter tout malentendu », a toutefois estimé Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires étrangères.

Mais pour la Pologne, le problème reste entier. Aussi cherche-t-elle à se procurer des Leopard 2 [dont elle dispose déjà environ 250 exemplaires] auprès de pays qui en mettent en oeuvre. Et cela, en plus des 250 chars M1A2 SEPv3 Abrams que les États-Unis doivent lui livrer, dans le cadre d’un contrat de 5 milliards d’euros. Et c’est la raison pour laquelle elle s’est tournée vers la… Suisse.

En effet, par le passé l’armée suisse a reçu jusqu’à 380 chars « 87 Leo » [c’est à dire des Leopard 2A4]. Et il lui en reste 134 en ligne et 96 en réserve. Certains ont été transformés en engins de génie ou chars de dépannage. Et 42 ont été repris en 2010 par le groupe allemand Rheinemetall, lequel devait utiliser les « châssis pour la construction de véhicules d’appui », selon un communiqué publié à l’époque.

Quoi qu’il en soit, les Leopard 2A4 mis en réserve ne pouvaient qu’intéresser la Pologne, qui a adressé à cette fin une demande à Berne, en la motivant par le fait qu’elle « a livré des armes en quantité substantielle à l’Ukraine, y compris des moyens lourds, et qu’elle a donc maintenant besoin de moyens pour reconstituer ses propres stocks et capacités de défense ».

Cette démarche s’est révélée vaine, les autorités suisses ayant exclu tout transfert de ces Leopard 2A4. « Étant donné que l’aliénation de chars désaffectés à un autre État suppose en amont une mise hors service de ces systèmes, étape soumise à l’approbation du Parlement dans le cadre de messages sur l’armée, le DDPS [département de la Défense, de la Protection de la population et des Sports, ndlr] estime que, dans les circonstances actuelles, l’aliénation de chars désaffectés à la Pologne ne peut pas être réalisée dans un délai utile », ont-elles expliqué, via un communiqué publié le 3 juin.

En revanche, la Suisse estime que l’Allemagne « peut disposer librement » des 42 chars revendus à Rheinmetall. Au passage, ces Leopard 2A4 ne sont pas complets puisque leur canon de 120 mm, leurs mitrailleuses ainsi que d’autres composants avaient été préalablement démontés.

« Le DDPS a confirmé à l’Allemagne que l’utilisation ultérieure des chars vendus il y a douze ans déjà relève de la seule responsabilité de Rheinmetall et est donc soumise à la législation allemande sur l’exportation de matériel de guerre. L’Allemagne peut ainsi décider librement de l’utilisation ultérieure de ces véhicules », a expliqué Armasuisse.

Par ailleurs, Berne a confirmé son refus de donner suite à une demande allemande concernant environ 12400 obus de 35 mm de fabrication suisse pour les blindés anti-aériens Gepard que Berlin a l’intention de donner aux forces ukrainiennes. Même chose pour une requête adressée par le Danemark au sujet de 22 blindés Piranha III produits en Suisse.

« Selon la loi fédérale sur le matériel de guerre [LFMG], les exportations de matériel de guerre doivent être refusées si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé international. Or la Russie et l’Ukraine sont impliquées dans un tel conflit. Comme les exportations de matériel de guerre de provenance suisse à destination de l’Ukraine ne peuvent être autorisées en raison de l’égalité de traitement découlant du droit de la neutralité et des dispositions de la LFMG, il n’est pas possible de répondre favorablement aux demandes de l’Allemagne et du Danemark en vue de la transmission de matériel de guerre à l’Ukraine », ont expliqué les autorités suisses.

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