Avis de gros temps pour le budget des armées?

On ne peut que déplorer l’absence de débat sur la politique de défense lors de la dernière élection présidentielle… alors même que celle-ci vise avant tout à désigner celui qui sera le chef des Armées. Cette absence est d’autant plus regrettable que la situation internationale, avec le retour du « tragique » sur le sol européen, invitait à se pencher sérieusement sur les questions militaires et diplomatiques.

Quoi qu’il en soit, dans un rapport dont elle a dû différer la publication en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la période de réserve qu’elle était tenue d’observer durant la campagne électorale, la Cour des comptes a constaté que les trois premières annuités de la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25, marche-pied vers un modèle d’armée complet et équilibré [« Ambition 2030 », ndlr] ont été respectées. Ce qui est un « progrès notable par rapport aux périodes précédentes », souligne-t-elle.

Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre les objectifs fixés. « La restauration des capacités des armées n’est pas encore achevée: l’entraînement, les dotations en munitions, la disponibilité et le renouvellement des matériels doivent encore progresser. L’aptitude des armées à conduire dans la durée un combat de haute intensité n’a pas encore été restaurée », relèvent en effet les magistrats de la rue Cambon. Ce qui passe par la nécessité d’atteindre la masse nécessaire ainsi qu’un niveau de préparation suffisant pour participer, même dans le cadre d’une coalition, à une « opération classique de majeure de coercition face à un adversaire étatique ».

Seulement, et alors que la LPM 2019-25 prévoit une hausse annuelle significative du budget des armées [+3 milliards] à partir de 2023, le plus difficile reste à faire. Déjà, 300,3 millons d’euros de crédits de paiement jusqu’alors mis en réserve ont été annulés pour financer le plan de résilience économique et sociale lancé par le gouvernement afin de faire face aux conséquences des sanctions imposées à la Russie. Normalement, cette somme devrait être compensée d’ici la fin de cette année… Mais si elle ne l’est pas, alors cela « constituerait un premier signe des besoins d’arbitrage dus aux contraintes budgétaires dans un contexte où […] la défense n’est pas la seule priorité de l’action gouvernementale », prévient la Cour des comptes.

D’autant plus que celle-ci a émis un avis de gros temps pour les finances publiques… En effet, le déficit budgétaire devra revenir dans les clous [soit à -3% du PIB] d’ici 2027, ce qui supposera un important effort de maîtrise de la dépense publique d’ici-là.

Et cela, alors que la dette a atteint 120% du PIB [et la gestion de la pandémie de covid-19 n’est pas la seule en cause] et que la Banque centrale européenne [BCE] envisage d’augmenter ses taux d’intérêts. Et puis vient s’ajouter l’impact de la guerre en Ukraine, en particulier celui des sanctions économiques décidées contre la Russie. Les tensions sur le marché de l’énergie [gaz et pétrole] – qui, soit dit en passant, feront grimper les coûts de facteur pour les armées – et les difficultés d’approvisionnement ne pourront que peser sur la croissance… et donc sur les rentrées fiscales.

Cependant, étant donné que les risques et menaces indentifiés par la Revue stratégique de 2017 [actualisée en 2021] tendent à se concrétiser et qu’il apparaît nécessaire d’investir dans de nouvelles capacités pour y répondre [comme les grands fonds, l’espace, le cyber, etc], une réduction des dépenses militaires est difficilement envisageable, l’heure n’étant plus aux « dividendes de la paix »…. D’autant plus que, pour la plupart, les pays européens ont annoncé leur intention de revoir à la hausse leur effort de défense, parfois de manière substantielle, comme l’Allemagne, qui va lancer un fonds de 100 milliards d’euros pour « réparer » la Bundeswehr.

« La remontée en puissance de l’outil de défense prévue par la LPM 2019-2025 se heurte à la conjonction de deux évolutions défavorables. D’une part, les finances publiques se sont dégradées sous l’effet de la crise sanitaire, imposant un effort de réduction du déficit public d’ici à 2027 qui peut contrarier la poursuite d’une forte croissance des budgets de défense. D’autre part, l’accélération et la diversification de la montée des menaces mises en évidence par l’Actualisation stratégique de 2021 tendent parallèlement à augmenter les besoins en matière de défense », résume ainsi la Cour des Comptes.

Cela étant, et sous réserve d’un désengagement des armées de certaines missions [comme Sentinelle, par exemple], d’une politique plus volontariste pour mieux tirer parti des financements de l’Union européenne [UE] et de coopérations soutenues avec les partenaires stratégiques de la France, la poursuite des efforts en vue d’atteindre l’objectif fixé par le plan « Ambition 2030 » est le premier scénario décrit par la Cour des comptes dans son rapport. Mais il « constitue un défi majeur dans un contexte de finances publiques affaiblies », prévient-elle. Et il n’exclut pas une réflexion « sur le modèle d’armée » étant donné que les marges de manoeuvres sont faibles… En clair, il supposerait de faire des choix… et donc de renoncer à certaines capacités.

Le second scénario avancé dans le document consisterait « à adopter une trajectoire de ressources moins ambitieuse pour la défense tout en conservant la volonté de disposer du spectre complet des capacités militaires », comme cela a été fait entre 2008 et 2015, ce qui a abouti à des forces armées « échantillonaires ». Dans les faits, cela revient à effectuer une « réduction homothétique » des moyens sous la contrainte budgétaire, ce qui se traduit irrémédiablement par des pertes capacitaires subies.

Enfin, la dernière option proposée par la Cour des comptes impliquerait de « choisir les capacités opérationnelles à conserver, voire à développer, et donc de décider celles pour lesquelles l’effort sera réduit ». En clair, il s’agirait de faire comme le Royaume-Uni… alors que le modèle britannique n’est pas forcément transposable en France, d’autant plus qu’il suppose des renoncements qui seraient probablement irréversibles.

Pour passer le cap des années à venir, la Cour des comptes, qui se garde de préciser explicitement le scénario qui a sa préférence, émet trois recommandations. En premier lieu, elle demande au gouvernement de « chiffrer les crédits budgétaires de 2024 et 2025 correspondant aux besoins issus des ambitions de la LPM, en tenant compte du dernier ajustement annuel de la programmation militaire et établir une trajectoire budgétaire jusqu’à l’horizon de stabilisationdu déficit public prévu en 2027 ». Ce qui n’a pas été fait à l’occasion de l’ajustement de la LPM, alors que celle-ci aurait dû faire l’objet d’une réactualisation dans le cadre d’un débat au Parlement…

Ensuite, la Cour estime qu’il faut « identifier et exploiter les marges de manœuvre budgétaires qui peuvent exister, notamment dans le domaine de la coopération européenne et s’agissant de la définition du périmètre des missions confiées aux armées ». Enfin, elle plaide pour l’adoption d’un « processus d’actualisation stratégique et de programmation militaire plus réactif, plus transparent et reposant sur une plus grande capacité d’anticipation ».

Photo : État-major des armées

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