Le chef d’état-major des armées insiste sur l’importance des « forces morales »

Une nation ne se défend que si elle veut se défendre et s’aime suffisamment pour se défendre », avait lancé le député Jean-Louis Thiérot, lors de l’examen du rapport sur la haute intensité qu’il venait de rédiger avec sa collègue Patricia Mirallès par la commission de la Défense, en février dernier. D’où l’importance des « forces morales », qui, selon lui, doivent être « suffisantes pour affronter des adversaires dont le rapport à la mort, au sacrifice et à la patrie ne sont pas les mêmes que chez nous ».

Par « forces morales », on désigne généralement la capacité psychologique à affronter et à surmonter l’adversité. Ce qui suppose de développer et d’entretenir certaines qualités ou vertus, comme le courage, la solidarité, la discipline et la disposition à consentir des sacrifices pour le bien commun.

Le rapport sur la haute intensité déplore, par exemple, l’addiction au « smartphone »… ce qui peut sembler anodin mais qui ne l’est pas tant que ça en réalité, au regard des risques opérationnels qu’elle est susceptible de susciter. « Cette incapacité à la déconnexion est désormais bien connue de nos compétiteurs », souligne-t-il. Ainsi, lors de l’exercice Polaris 21, organisé en novembre dernier par la Marine nationale, un navire a été fictivement coulé après la mise sous surveillance électronique de ses marins.

« Les Rouges ont analysé la composition de membres de l’équipage d’un navire bleu et ont cherché à retrouver la trace de ces marins sur les réseaux sociaux. Sans surprise, un marin qui n’avait pas éteint son portable a borné sur une antenne relais, permettant de localiser le navire alors en navigation côtière », a raconté aux rapporteurs le contre-amiral Emmanuel Slaars, commandant adjoint de la force aéromaritime française de réaction rapide.

Quoi qu’il en soit, et plus généralement, le rapport de M. Thiériot et de Mme Mirallès parle de « conforter les forces morales en renforçant les représentations populaires des armées et des conflits futurs, en poursuivant les efforts en faveur du renforcement du lien armées-Nation et en formant effectivement les professeurs aux enjeux de défense ».

Une nécessité qu’illustre l’attitude de la population ukrainienne face à l’invasion de son pays par la Russie. En tout cas, c’est l’un des trois principaux enseignements qu’en a tiré le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA].

Lors d’une prise d’armes qu’il a présidée à Balard, le 22 avril dernier, le général Burkhard avait insisté sur le « rôle crucial des forces morales et l’exigence individuelle et collective qu’elles impliquent ». Un enseignement de la guerre en Ukraine qui est « moins une rédécouverte qu’une confirmation », a-t-il dit.

« Ce sont d’abord les forces morales qui expliquent la remarquable résistance ukrainienne. Je ne pense pas uniquement aux combattants, dont le courage et la volonté ne sont plus à démontrer. Je pense également à la population, à la société ukrainienne dans son ensemble et à ses dirigeants. Unis dans le soutien à ceux qui combattent en leur nom, tous font preuve d’une résilience et d’une cohésion admirables », avait ainsi écrit le CEMA dans son ordre du jour n°13.

Et d’ajouter : « Les forces morales doivent être pour nous une préoccupation de tous les instants. Parce qu’elles ne surgissent pas du néant au moment du combat, elles doivent être forgées et entretenues en permanence. Faute d’avoir anticipé cette obligation, nous serions promis à la défaite. »

Dans un entretien publié le 6 mai par l’AFP, le général Burkhard a de nouveau évoqué les « forces morales » en répondant à une question sur les enseignements de l’invasion de l’Ukraine. « Tout d’abord, l’importance des forces morales. Les Ukrainiens ont gagné dans ce domaine. Ils ont une armée qui défend son pays et un pays qui soutient son armée. Cela se construit, ce n’est pas quelque chose qui se décrète le jour où une guerre éclate », a-t-il répondu.

En outre, le CEMA a également souligné l’importance de la guerre informationnelle. « Les Ukrainiens ont réussi à imposer leur narratif face aux Russes, qui étaient un peu les maîtres en la matière », a-t-il dit. Enfin, il a également insisté sur la préparation opérationnelle. « L’armée russe est supérieurement équipée mais n’a pas réussi à entraîner ses soldats à la haute intensité », a-t-il relevé.

Au passage, et comme il l’avait fait dans son ordre du jour n°13, le général Burkhard a égratigné le commandement russe en évoquant la première phase de l’offensive lancée par la Russie. Phase qui visait à faire tomber le gouvernement ukrainien en exerçant une forte pression sur Kiev… et qui s’est soldé par un échec.

Le « dispositif [russe] n’était pas très cohérent tactiquement », a commenté le CEMA. L’une des raisons? « L’armée russe est l’armée du mensonge. Des gens ont menti en disant que l’armée ukrainienne ne se battrait pas, que les forces russes étaient prêtes à faire la guerre, que les chefs savaient commander », a-t-il avancé.

Reste que, pour le général Burkhard, la situation actuelle est appelée à durer. « On est entrés dans une compétition longue avec la Russie », a-t-il estimé, soulignant que Moscou a mis en place une « vraie stratégie dans le temps long », ave le renforcement de ces capacités militaires, notamment avec les armes hypersoniques.

Toutefois, a poursuivi le CEMA, les difficultés des forces russes en Ukraine vont « imposer une pause » à cette stratégie de long terme… Aussi, l’Europe devra « en profiter pour se réorganiser et construire aussi sa stratégie de long terme, penser le jour d’après la guerre ukrainienne », a-t-il estimé. C’est à dire qu’il faudra « se réarmer, renforcer la cohésion et se mettre en position d’être compétiteurs avec les Russes », avec l’objectif de se donner la capacité d’affaiblir la Russie sans perdre de vue qu’il « faudra peut-être reconstruire une architecture de sécurité » avec elle.

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