Le Royaume-Uni va renforcer sa présence militaire dans le Grande Nord, évoquant l’interopérabilité avec ses alliés

Sous l’effet du changement climatique, le Grand Nord risque de devenir la source de tensions nouvelles. Ainsi, la possibilité d’exploiter plus aisément ses ressources naturelles [hydrocarbures, métaux rares, etc] accentue les différends territoriaux entre les pays riverains, y compris entre alliés, les États-Unis et le Royaume-Uni ne reconnaissant pas, par exemple, la souveraineté du Canada sur le Passage du Nord-Ouest. En outre, la diminution de la calotte glaciaire fera augmenter le trafic maritime dans cette région, appelée également à devenir un carrefour de câbles sous-marins de télécommunications.

Au-delà de ces considérations, le Grand Nord et son environnement proche ont aussi des enjeux stratégiques. « Celui qui contrôle l’Islande a un revolver pointé sur l’Angleterre, les Etats-Unis et le Canada dans les mains », avait ainsi relevé le géopoliticien allemand Karl Haushofer. Et le passage GIUK [Groenland – Islande – Royaume-Uni] est crucial pour les liaisons maritimes entre l’Amérique du Nord et l’Europe.

Ayant exprimé des revendications territoriales [notamment sur la ur la dorsale de Lomonossov], la Russie a pris en compte tous ces enjeux en publiant une stratégie pour le Grand Nord en 2009. Stratégie qui prévoit le renforcement significatif de ses moyens militaires dans cette région, via la réhabilitation de bases abandonnées après la fin de l’Union soviétique, la création d’unités spécialisées et le déploiement de capacités de déni et d’interdiction d’accès [A2/AD]. Les forces russes y mènent régulièrement des exercices, dont certains relèvent de la démonstration de force.

Quant à la Chine, elle a publié un « livre blanc » sur l’Arctique en 2018, avec l’objectif d’édifier une « route de la Soie polaire grâce au développement de voies de transport maritime ». Et elle cherche à y accroître son influence, en particulier au Groenland, où, de par ses investissements, elle vise à prendre le contrôle des infrastructures critiques et celui des ressources minières.

Avec cette compétition stratégique qui se profile, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a récemment fait valoir que le Grand Nord est une « région d’une importance critique » pour les Alliés.

« Nous ne pouvons nous permettre un vide sécuritaire dans le Grand Nord. Cela pourrait nourrir les ambitions russes, menacer l’Otan et créer un risque de malentendus », a en effet affirmé M. Stoltenberg, le 25 mars, alors qu’il assistait à l’exercice Cold Response 22, organisé en Norvège. « Nous observons aussi un intérêt croissant de la Chine pour la région. La Chine s’est définie comme un État du proche Arctique et ambitionne d’établir une présence ici », a-t-il aussi relevé.

Ce constat est partagé par le Royaume-Uni, au point que son ministère de la Défense [MoD] a mis l’Arctique et le Grand Nord « au centre » de sa sécurité, dans une stratégie dévoilée en septembre 2018. Il y était alors question d’accroître les entraînements militaires par temps froid et d’augmenter les moyens dédiés à la lutte anti-sous-marine, en coopération avec la Norvège.

Or, cette « stratégie » vient d’être mise à jour [.pdf], a annoncé Ben Wallace, le ministre britannique de la Défense, en marge de Cold Response 22. Le Grand Nord est « important pour nos communications, notre commerce, nos voyages et nos libertés », a-t-il justifié, depuis la base norvégienne de Bardufoss, le 29 mars.

Dans les grandes lignes, le Royaume-Uni entend s’appuyer sur la Force expéditionnaire commune [Joint Expeditionary Force – JEF], laquelle réunit le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège et les trois pays baltes ainsi que la Suède et la Finlande afin d’organiser davantage de manoeuvres militaires par temps froid. Londres envisage de créer une « force d’intervention permanente » bâtie autour d’un « Groupe littoral d’intervention » [Littoral Response Group – LRG] comprenant deux navires d’assaut amphibie et d’au moins une compagnie de Royal Marines.

« Nous maintiendrons une présence périodique de la Royal Navy dans le Grand Nord, aux côtés de nos alliés et partenaires, afin de démontrer notre engagement envers la liberté d’accès et de navigation dans la région », assure le document. Ce qui passera aussi par l’envoi régulier de sous-marins nucléaires d’attaque [SNA].

« En investissant dans une nouvelle génération de frégates de lutte anti-sous-marine, nous nous concentrerons sur une interopérabilité accrue avec les États-Unis, le Canada, le Danemark et la Norvège, ainsi qu’avec la France et les Pays-Bas », ajoute-t-il.

Dans les airs, le Royaume-Uni parle de renforcer sa contribution à la sécurité régionale en déployant des avions de renseignement RC-135W Rivet et en continuant d’assurer des missions de police du ciel au profit de l’Islande, dans le cadre de l’Otan. Et il mise également sur ses capacités aéronavales, les porte-avions HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales pouvant être sollicités pour engager des F-35B si nécessaire.

Sur ce point, le document souligne que « l’exploitation de F-35 aux côtés du Danemark, de la Finlande, de la Norvège et des États-Unis offre de nouvelles opportunités en termes d’interopérabilité avec les Alliés et les partenaires proches dans la région ».

Outre le F-35, le ministère britannique de la Défense fait aussi valoir que ses neuf avions de patrouille maritime P-8A Poseidon [mis en oeuvre par la Royal Air Force] permettront aussi d’accroître l’interopérabilité avec la Norvège et les États-Unis, qui en sont également dotés. Cela « améliorera également notre connaissance de la situation dans le Grand Nord », estime-t-il.

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