Un rapport appelle à accélérer le renouvellement des capacités militaires françaises en matière de défense NRBC

Tentatives d’attentats à la bombe « sale » [ou radiologique] par la mouvance jihadiste, emploi d’armes chimiques par l’État islamique [EI ou Daesh] et les forces syriennes, empoisonnement, avec des neurotoxiques, d’un ancien officier du renseignement russe et du demi-frère de Kim Jung-un, le dirigeant nord-coréen, possibilité d’incidents nucléaires, remise en cause de certaines traités de désarmement, prolifération d’armes dites de destruction massive, pandémie de covid-19…

Ces dernières années, la menace NRBC [nucléaire, radiologique, biologique et chimique], qu’elle soit le fait d’États ou d’organisations terroristes, ou encore le résultat d’un accident industriel, n’a cessé de s’aggraver. Et, comme l’a souligné un rapport que viennent de publier les députés André Chassaigne et Carole Bureau-Bonnard, elle se « caractérise par des tendances lourdes, telles que la multiplication de l’emploi ou des tentatives d’emploi et la modernisation et l’adaptation des vecteurs ».

En outre, ajoutent-ils, cette menace NRBC peut « être employée sur tout le spectre de la surprise, technique et tactique, dans un contexte de fragilisation des traités internationaux et de recul des tabous » tout en étant également « l’une des facettes des stratégies hybrides », dans la mesure où l’on « assiste à une diminution des seuils d’emploi des armes de destruction massive ainsi qu’à une dissimulation de l’emploi lui-même, rendant difficile l’imputation de ce dernier. » Recourir à de telles armes permettrait de « favoriser le déni d’accès », de neutraliser des cibles de grande valeur, voire, aussi, de désorganiser un pays [à commencer par ses forces armées…].

En France, la défense NRBC vise à protéger les forces déployées contre une telle menace, à contribuer à la protection des populations et à particier à la lutte contre la prolifération des armes de destructions massives. Et elle repose sur cinq piliers capacitaires, qui sont : « la détection, l’identification et la surveillance », « la protection individuelle et collective », « la décontamination des personnels et des équipements », « les contre-mesures médicales » et « les moyens de commandement et de communication ».

La Sécurité civile et la Gendarmerie nationale [qui dispose d’une cellule dédiée à cette menace, la « C2NRBC », ndlr], ont évidemment un rôle à tenir dans le cas d’une attaque ou d’un incident NRBC. Mais s’agissant du ministère des Armées, cette menace est du ressort de la Maîtrise NRBC de la Direction générale de l’armement [DGA] pour les aspects capacitaires, de « centres experts » [relevant de l’État-major des armées et de la DGA, ndlr] ainsi que du Service de santé des armées [SSA], pour ses fonctions d’expertise et de soins, ainsi que pour le développement des contre-mesures médicales. Enfin, chacune des trois armées disposent d’unités ou de moyens propres aux milieux dans lesquels elles évoluent.

Ainsi, l’armée de Terre dispose d’une unité dédiée, à savoir le 2e Régiment de Dragons [RD] tandis que, pour l’armée de l’Air et de l’Espace [AAE], la menace NRBC relève de la Brigade des pompiers de l’Air, dont l’une des missions, à ce titre, et de préserver les capacités indispensables à la mise en oeuvre de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire.

Quant à la Marine nationale, ses spécialistes NRBC se répartissent au sein de ses différentes unités, sa priorité étant, souligne le rapport, d’opérer « en mer avec des bâtiments et sous-marins constituant en eux-mêmes des équipements militaires aptes à faire face à la menace NRBC ».

La mise en oeuvre d’une défense NRBC suppose évidemment de disposer des équipements adéquats, devant être renouvelés régulièrement. En 2012, il avait élaboré, à cette fin, un « schéma directeur » qui, appelé SAFIR [Système Anticipatif des Forces, Intégré et Réactif, de défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique], prévoyant le « renouvellement des matériels et le comblement des lacunes critiques ». Et cela à une époque où on ne parlait de « haute intensité » comme aujourd’hui [ou, du moins, cette perspective n’avait pas encore été prise en compte comme, sans doute, elle aurait dû l’être].

Seulement, soulignent M. Chassaigne et Mme Bureau-Bonnard, SAFIR n’a pas pu être mis en application jusqu’en 2018, « faute de moyens budgétaires ». Ce n’est donc qu’en 2019 qu’un programme appelé Capacité d’identification confirmée biologique [CICB] a pu être élaboré afin de prendre en compte le volet « biologique » de la menace NRBC. Puis, à l’occasion d’une revue des programmes réalisée ultérieurement que la DGA a lancé le programme à effet majeur CINABRE [Capacité INtégrée d’Armement de défense Biologique Radiologique chimiquE], afin de renouveler les équipements des armées dans ce domaine.

Cependant, pour les deux rapporteurs, si plusieurs projets ont d’ores et déjà été lancés, à l’image d’EPIA [Ensemble de protection individuelle interarmée] et sont en cours de réalisation, il faudrait aller encore plus loin. Comme par exemple dans le domaine de la décontamination. « De nombreux matériels équipant nos forces armées sont entrés en service avant la fin de la Guerre froide et ne font pas encore l’objet d’un renouvellement : c’est en particulier le cas des appareils portatifs de décontamination équipant les véhicules terrestres et des gants poudreurs de décontamination », soulignent-ils.

Par ailleurs, les moyens d’appui mis en oeuvre par le 2e RD se « se caractérisent par des capacités uniques à l’échelle nationale, achetées successivement, sans recherche d’un développement capacitaire cohérent et raisonné » qui, selon les deux députés, sont « peu compatibles avec un engagement dans un conflit de haute intensité du fait de leur ancienneté ».

Pour l’AAE, et hormis les équipements individuels destinés au personnel navigant, il lui faudrait remplacer notamment ses « détecteurs chimiques, radiologiques et biologiques, rendus obsolètes par l’émergence de nouvelles menaces » et combler des lacunes en matière de « protection collective semi-mobile permettant de sécuriser les centres de commandement et unités déployées en opération » et de « capacités de décontamination de grande hauteur et de grande surface pour prendre en compte les nouveaux vecteurs de type A400M et A330 MRTT ». En outre, elle ne possède pas de « structures RBC permettant au personnel de se soustraire à une menace autre que nucléaire ».

Aussi, le premier incrément du programme CINABRE ne permettra pas de combler les retards accumulés durant les années 2010, estiment les rapporteurs. Ou, du moins, le fera-t-il que partiellement. Et le second incrément ne sera pas lancé avant 2025. Alors que la menace s’aggrave, ils appellent à investir un budget de 2 milliards d’euros d’ici à 2030 dans la défense NRBC afin de « renouveler les équipements vieillissants et d’éviter toute rupture temporaire de capacité ». Soit 250 millions d’euros par an sur la période 2023-2029

« Ce budget annuel de 250 millions d’euros par an et de 2 milliards d’euros à la fin de la LPM 2025-2029 inclurait – et viendrait compléter – les crédits déjà programmés au titre du programme CINABRE, qui s’élèvent à quelque 80 millions d’euros pour le premier incrément », expliquent Mme Bureau-Bonnard et M. Chassaigne. Et cela permettrait d’acquérir 25 blindés Griffon pour le 2e RD, des véhicules et de moyens légers de décontamination, des appareils de détection portatifs, etc… ainsi que la prise en compte des besoins du Service de santée des armées.

Il s’agirait également de mettre un terme à l’érosion des crédits dédiés à la recherche-développement, en portant, par exemple, à 15 millions d’euros par an le budget consacré à la recherche duale pour la lutte contre le terrorisme NRBC-E et en garantir la pérennité »,

Enfin, les députés estiment qu’un effort sur les ressources humaines doit être une priorité, celles dédiées à la spécialité NRBC devant « être renforcées » tout en faisant en sorte que la défense NRBC ne soit pas uniquement la préoccupation de spécialistes. En la matière, la situation du SSA est peut-être la plus critique.

« Les rapporteurs tiennent également à souligner qu’au regard des missions dévolues au service de santé des armées, ses effectifs dédiés au NRBC sont sous tension, alors même que le retour d’expérience de la première phase de la crise sanitaire de SARS-COV-2 a mis en lumière la nécessité de disposer de capacités robustes en la matière », lit-on en effet dans le rapport.

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