En Méditerranée, la présence militaire russe pose un « véritable défi » aux forces françaises, selon un rapport

De par son intervention en Syrie, la Russie a pu accroître sa présence militaire en Méditerranée, un espace stratégique qui lui donne l’accès aux mers chaudes [et donc, au Moyen-Orient]. D’abord en faisant en sorte que le « point d’appui matériel et technique », dont elle disposait à Tartous depuis un accord conclu en 1971 avec Damas, devienne une base navale à part entière. Et en obtenant la « concession » de la base aérienne de Hmeimim, près de Lattaquié.

Le rétablissement de cette présence militaire russe dans cette région, qui s’était amoindrie après la fin de la Guerre Froide, a commencé au début des années 2020, avec la création d’une « force opérationnelle permanente de la marine en Méditerranée », rattachée à la flotte russe de la mer Noire. Celle-ci dispose d’au-moins une quinzaine de navires de combat [frégates appartenant à la classe Amiral Grigorovich, armées potentiellement de missiles de croisière Kalibr, sous-marin de type Kilo, etc].

Quoi qu’il en soit, la priorité donnée à la Méditerranée par Moscou a été confirmée par le document stratégique « Fondements de la politique de l’État dans le domaine naval à l’horizon 2030 », signé par le président Poutine en juillet 2017. Depuis, la base navale de Tartous s’est développée significativement, avec l’installation de batteries de défense aérienne de type S-400 et d’un système de défense côtière Bastion-P, doté de missiles de croisière ant-navires. Même chose à Hmeimin, où des travaux ont été récemment achevés pour permettre le déploiement – temporaire – de bombardiers stratégiques Tu-22M Backfire ainsi que celui de MiG-31K, dotés de missiles aérobalistiques [et hypersoniques] Kinjal.

Par ailleurs, et au-delà de la Syrie, la Russie cherche à accroître son influence dans d’autres partie de la Méditerranée, comme en témoignent la présence du groupe paramilitaire Wagner [dont les actionnaires ont leurs entrées au Kremlin] en Libye et les relations privilégiées qu’elle entretient avec l’Égypte et, sutout, l’Algérie.

Aussi, dans un rapport publié cette semaine au nom de la commission de la Défense, les députés Jean-Jacques Ferrara et Philippe Michel-Kleisbauer ont prévenu que cette présence militaire russe, en particulier en Méditerranée orientale, « constitue un véritable défi » pour les forces françaises, « même si les intéractions se déroulent […] de façon professionnelle » pour le moment. Ce qui n’est pas toujours le cas pour leurs homologues américaines et britanniques.

« Le dispositif russe est de nature à restreindre fortement la liberté d’action de la France et de ses partenaires dans la zone. Tout d’abord, les déploiements de nos capacités en Méditerranée orientale sont désormais régulièrement sources d’interactions, d’intensité variable, avec les forces russes, comme l’ont confirmé le capitaine de vaisseau Hervé Siret et le colonel Romain Canepa, représentant le centre de planification et de conduite des opérations [CPCO] de l’État-major des Armées », soulignent en effet les rapporteurs.

Ces interactions se produisent « tant dans le milieu naval – à l’occasion des déploiements du groupe aéronaval [GAN] dans le canal de Syrie, par exemple, que dans le milieu aérien », les déploiements de Rafale dans la région donnant « quasi-systèmatiquent lieu » à des rencontres avec des avions de combat russes.

« On assiste aujourd’hui à un pistage souple des forces navales étrangères déployées en Méditerranée orientale, en particulier dans le canal de Syrie et à l’interception systématique des vols de surveillance et de reconnaissance effectuées au-dessus de ce canal », a ainsi expliqué un officier de la Marine nationale aux deux députés.

Qui plus est, la mise en place de capacités de déni et d’interdiction d’accès [A2/AD] par la Russie en Syrie est de nature à réduire la liberté de manoeuvre des forces françaises. Au point que, selon le commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes [CDAOA], le général Philippe Moralès, une opération de type « Hamilton » [du nom de celle qui fut menée en avril 2018 contre le programme chimique syrien, ndlr] serait maintenant « plus complexe à mettre en oeuvre ». Qui plus est, dans le cas d’une crise, ces capacités russes pourraient être utilisées pour restreindre l’accès non seulement à la Maditerranée orientale mais aussi au Canal de Suez [et donc, à la mer Rouge, à l’océan Indien et au Moyen-Orient].

Cela étant, si les forces américaines dénoncent régulièrement des interactions « non professionnelles » et « dangereuses » avec leurs homologues russes, celles-ci n’ont pas le même comportement avec les militaires français.

Certes, les navires de la Marine nationale en mission en Méditerranée orientale [ou en mer Noire] sont régulièrement survolés par des avions de combat russes, comme l’avait indiqué l’amiral Christope Prazuck, l’ex-chef d’état-major de la « Royale ». Cependant, selon les MM. Ferrara et Michel-Kleisbauer ont souligné le « respect que les Russes [ont] pour notre marine et, d’une manière générale, pour la France ».

« Alors que le contact est rugueux avec les Américains et les Britanniques […], ils restent très professionnels vis-à-vis des marins français. Ce respect a des conséquences très pratiques. En septembre 2018, la frégate Auvergne a été accusée d’avoir abattu un avion russe. Grâce à ce respect, à cette confiance et aux canaux de discussion directs, la vérité a pu être rétablie et la France disculpée », a ainsi expliqué Michel-Kleisbauer, lors de l’examen du rapport en commission.

Par ailleurs, les deux rapporteurs ont également mis en garde contre la « menace d’une militarisation de la présence chinoise » en Méditerranée, qui « ne doit plus être appréhendée comme un espace clos, mais comme le maillon d’une chaîne mondiale qu’elle forme avec l’Indo-Pacifique ».

« Plusieurs personnes auditionnées ont alerté les rapporteurs sur le risque d’une militarisation de la présence chinoise en Méditerranée », lit-on en effet dans ce rapport. Et, « dans cette perspective, le développement capacitaire de la marine chinoise permettrait assurément à la Chine d’assurer une présence permanente en Méditerranée », d’autant plus que « outre la dimension quantitative, la marine chinoise a monté en gamme et renforcé ses capacités de projection, comme l’illustrent le lancement de deux premiers porte-avions chinois, le Liaoning en 2012 et le Shandong en 2019, et la mise en service d’un troisième porte-avions prévue en 2025 ».

Cette volonté chinoise d’établir une présence militaire en Méditerranée s’inscrirait dans la continuité la construction, par Pékin, d’une base navale à Djibouti, laquelle serait « susceptible d’accueillir des porte-avions, grâce à la construction d’une importante jetée ».

« Dans ce contexte, la mise en œuvre d’un processus de militarisation similaire à celui développé à Djibouti des infrastructures portuaires chinoises en Méditerranée est une hypothèse qui ne saurait être exclue, ainsi que l’ont confirmé aux rapporteurs de nombreuses personnes auditionnées. Une telle militarisation de ces infrastructures aurait certes pour objectif premier de sécuriser ses investissements économiques et de protéger ses ressortissants dans la région », font valoir les rapporteurs. Et cela serait évidemment un « atout atout stratégique significatif pour la Chine en cas de crise », ont-ils conclu.

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