Ukraine : La Russie souffle le chaud et le froid sur ses intentions

Dans les pays occidentaux, il n’est pas dans les habitudes de diffuser à la télévision les discussions que peut avoir un chef d’État avec ses ministres des Affaires étrangères et de la Défense. Surtout si le sujet abordé est sensible. Il en va tout autrement en Russie où, le 14 février, on pu voir le président Poutine s’entretenir avec Sergueï Lavrov et Sergueï Choïgou de l’évolution des négociations sur les garanties de sécurité que Moscou entend obtenir de l’Otan ainsi que des exercices militaires en cours.

Au cours de cet entretien, le chef de la diplomatie russe a fait état de quelques réponses « constructives » faites par les Occidentaux, en évoquant des « mesures spécifiques » au sujet des missiles à portée intermédiaire et à courte portée, de la réduction des risques militaires et du renforcement de la confiance réciproque. En revanche, il a admis que les principales revendications de la Russie, comme la fin de l’élargissement de l’Otan [notamment vers l’Ukraine], retour à la configuration qu’avait l’Alliance atlantique avant 1997 et le non déploiement de capacités de frappes près des frontières russes étaient encore loin d’être satisfaites.

« Selon vous, y a-t-il encore une chance de s’entendre avec nos partenaires sur les questions clés qui nous préoccupent, ou s’agit-il simplement d’une tentative de nous entraîner dans un processus de négociation sans fin? », a alors demandé M. Poutine à M. Lavrov.

Celui-ci a répondu que les « possibilités sont loin d’être épuisées ». Certes, a-t-il continué, « nous avons déjà prévenu plus d’une fois que nous ne permettrions pas des négociations sans fin sur des questions qui exigent une solution aujourd’hui ». Cependant, a-t-il ajouté, « je dois dire qu’il y a toujours des chances », avant d’assurer qu’il continuerait « à chercher une réaction concrète de la part de chaque pays ».

Quant au ministre russe de la Défense, il est revenu sur la violation présumée des eaux territoriales russes par un sous-marin nucléaire américain au niveau des îles Kouriles. Mais avant, il a indiqué certains exercices militaires récemment lancés étaient sur le point de d’achever… et que d’autres étaient même déjà terminés.

Fallait-il y voir quelques signes de détente, après des mois de pressions militaires exercés sur l’Ukraine? Sans doute pas pour le président ukrainien, Volodymyr Zelenski, qui s’est risqué à dire que la Russie lancerait une offensive contre son pays le 16 février prochain. Et de décréter que cette date serait le « jour de l’unité ».

« On nous dit que le 16 février sera le jour de l’attaque. Nous allons en faire une journée de l’unité », a en effet déclaré M. Zelenski, qui semble disposer de renseignements étonnamment précis. L’avenir dira si sa prédiction était juste ou non… En tout cas, elle coïncide peu ou prou avec les déclarations des responsables américains, lesquels estiment que la Russie pourrait passer à l’offensive avant la fin des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin, c’est à dire d’ici le 20 février.

En tout cas, ce 15 février, le ministère russe de la Défense a annoncé que des unités jusqu’alors déployées près de la frontière ukrainienne allaient retrouver leurs garnisons d’origine. Ce qui a pu être perçu comme un autre signe de désescalade, alors que le chancelier allemand, Olaf Scholz, était attendu à Moscou.

« Les unités des districts militaires du Sud et de l’Ouest qui ont achevé leurs tâches, ont déjà commencé à procéder au chargement sur les moyens de transport ferroviaires et routiers et commenceront à retourner vers leurs garnisons aujourd’hui », a en effet déclaré l’état-major russe, en produidant une vidéo à l’appui de son propos.

Selon les images ainsi diffusées, qui, à la vérité, ne prouvent pas grand chose, on voit des chars T-72B3 modernisés en train d’être chargés sur des plateformes de chemin de fer. D’autant plus que les forces russes sont adeptes de la Maskirovka [l’art de la ruse en Russe, ndlr].

« Il y a des signes provenant de Moscou indiquant que l’approche diplomatique reste de mise. C’est pour nous un motif d’optimisme prudent. Mais jusqu’ici nous n’avons constaté aucun signe de désescalade sur le terrain de la part des Russes », a d’ailleurs commenté Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan, qui s’apprête à recevoir les minsitres des la Défense des pays membres pour évoquer la situation sur le flanc oriental de l’organisation.

En outre, Moscou souffle le chaud et le froid… Pour commencer, la diplomatie russe a refusé de participer à la réunion que l’Ukraine avait demandé à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [OSCE] pour obtenir des éclaircissements sur les mouvements des troupes russes à ses frontières. Une demande fondée sur le Document de Vienne…

« Si quelqu’un veut jouer à une sorte de jeu politique, qu’il le joue. Mais nous prenons toujours au sérieux les outils de renforcement de la confiance et de la sécurité et nous ne permettrons pas qu’ils soient utilisés à des fins inconvenantes », a fait valoir Alexander Grushko, le vice-ministre russe des Affaires étrangères.

« En outre, les pays les plus préoccupés aujourd’hui par la pureté du Document de Vienne n’ont pas levé le petit doigt pour lancer les procédures appropriées lorsque l’armée ukrainienne a bombardé son propre peuple et a mené une véritable opération militaire contre lui », a-t-il poursuivi, dans une allusion à la situation dans le Donbass [sud-est de l’Ukraine], où des séparatistes pro-russes affrontent les forces gouvernementales depuis 2014.

Or, le Donbass pourrait bien servir d’élément déclencheur à une action militaire de la Russie… Ainsi, la Douma [chambre basse du Parlement russe] a appelé Vladimir Poutine à reconnaître les deux républiques autoproclamées par les séparatistes pro-russes dans cette région [celle de Louhansk et de Donetsk], ce qui porterait un coup définitif aux accords dits de Minsk 2, conclu dans le cadre du format « Normandie » [Ukraine, Russie, France, Allemagne] en février 2015.

Puis, un responsable de la diplomatie russe, Oleg Syromolotov, a critiqué « l’incapacité » de l’OSCE à « répondre efficacement aux défis sécuritaires transfrontaliers, y compris sur les questions antiterroristes, en raison des approches unilatérales de certains pays ». Or, pour rappel, cette organisation dispose d’une mission de surveillance dans le Donbass…

À ces propos sont venus s’ajouter ceux de Vladimir Chizhov, l’ambassadeur russe auprès de l’Union européenne [UE]. « Nous n’envahirons pas l’Ukraine à moins que nous soyons provoqués à le faire », a-t-il dit. « Si les Ukrainiens lancent une attaque contre la Russie, ne soyez pas surpris si nous contre-attaquons. Ou s’ils commencent à tuer de manière flagrante des citoyens russes où que ce soit, dans le Donbass ou ailleurs », a-t-il prévenu.

Enfin, répondant au chancelier allemand, qui venait de justifier l’intervention de l’Otan en ex-Yougoslavie en expliquant qu’il s’agissait d’éviter un « génocide », le chef du Kremlin a retourné l’argument en évoquant le Donbass. « Ce qui s’y passe précisément, c’est un génocide », a-t-il dit.

En décembre, Vladimir Poutine était déjà allé sur ce terrain là. « Je dois parler de la russophobie comme d’un premier pas vers un génocide. C’est ce qui se passe en ce moment dans le Donbass, nous le voyons bien, nous le savons. Et cela ressemble bien sûr au génocide dont vous avez parlé », avait-il répondu à un journaliste, lors d’une réunion avec le Conseil présidentiel pour les droits humains.

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