Union européenne : La France veut une clause d’exemption pour le temps de travail des militaires

En 2003, et à l’initiative de la France, les États membres de l’Union européenne [UE] adoptèrent la Directive 2003/88 relative au temps de travail, laquelle impose un repos d’au moins 11 heures consécutives toutes les 24 heures ainsi qu’une une limite de 48 heures de travail par semaine [heures supplémentaires comprises]. En outre, ce texte borne également le travail de nuit.

À l’origine, seuls les salariés et certaines catégories de fonctionnaires étaient concernés par cette directive. Seulement, en juillet 2020, la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE] estima que celle-ci devait également s’appliquer aux militaires sous certaines conditions.

En effet, la CJUE fit la distinction entre les activités opérationnelles et celles relevant des « services d’administration, d’entretien, de réparation, de santé, de maintien de l’ordre ou de poursuite des infractions ». Ainsi, pour les premières, la Directive 2003/88 ne s’applique. En revanche, s’agissant des secondes, un militaire y est assujetti, comme n’importe quel salarié.

Pourtant, le ministère français des Armées s’était opposé vigoureusement à cette interprétation de la Directive 2003/88. Seulement, les arguments produits par le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire furent sans effet sur la CJUE. D’où la réaction de plusieurs responsables poliques, qui dénoncèrent une remise en cause de la notion de service « en tout temps en tout lieu », sur laquelle repose en partie le Statut général des militaires.

D’autres allèrent plus loin, comme Christian Cambon, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense. « La décision de la Cour européenne, porte une grave atteinte à la souveraineté de notre pays, dans la mesure où les forces armées, sont en France, sous l’autorité du Président de la République, l’organisation dépend de lui, ici, on fait face à une ingérence de Bruxelles », fit-il valoir, rejoignant ainsi l’ancien Premier ministre Édouard Philippe.

Le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, n’hésita pas à dire que la « La directive européenne concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail [était] un péril mortel pour notre armée. Et d’ajouter : « Il ne s’agit pas de savoir combien il faudrait d’équivalents temps plein [ETP] en plus : c’est surtout une question d’état d’esprit. L’un des marqueurs les plus forts de la singularité militaire, à savoir le rapport au temps, disparaîtrait. Ce marqueur signifie qu’on s’arrête quand on a accompli la mission, ou quand le chef dit de s’arrêter : c’est fondamental ».

Lors de la dernière audition, à l’Assemblée nationale, de la ministre des Armées, Florence Parly, le député Didier Le Gac, a rapporté une anecdote sur les conséquences de cette directive sur le temps de travail au sein de la Deutsche Marine.

« J’étais hier [13/12] à Brest, avec des cadres de la Marine [nationale]. Ils sont très inquiets. Un amiral me disait qu’un patrouilleur allemand, pour qu’il puisse exercer toute sa mission, a besoin de sept équipages s’il veut respecter le temps de travail. C’est la réalité, aujourd’hui, à bord des navires allemands », a raconté le parlementaire.

Dans son propos liminaire, Mme Parly avait rappelé que « souveraineté et naïveté » faisaient « rarement bon ménage ». Et d’expliquer : « Nous devons veiller à ne pas nous démunir face à nos compétiteurs, en pensant, avec la meilleure foi du monde, agir pour le bien commin. Je pense notamment aux critères dits ESG [Environmental, social and corporate governance – Critères environnementaux, sociaux et de gouvernance], qui placeraient la défense dans la catégorie des activités non-durables, ce qui aurait pour conséquence de dissuader les investisseurs d’investir dans les industries de défense. Si nous nous mettons à considérer que la défense de nos citoyens n’est pas une activité durable, alors nous ne durerons pas bien longtemps ».

Et, répondant par la suite à M. Le Gac, la ministre a mis cette directive sur le temps de travail dans le même sac. Et comme il n’est pas question de l’appliquer à ses forces armées, la France, a-t-elle indiqué, a « fait part à la Commission européenne » des difficultés que pose ce texte.

Plus précisément, les autorités françaises ont demandé à la Commission « d’insérer une clause appelée ‘Opt Out’ dans le rappport que celle-ci doit remettre sur l’application de la directive », a fait savoir Mme Parly. « Ce mécanisme d’Opt Out [ou « option de retrait »] permettrait aux États membres qui le souhaitent de préserver leur liberté d’appliquer ou pas la directive aux forces armées », a-t-elle expliqué, avant de juger « extrêmement important de pouvoir préserver à l’échelle européenne cette capacité d’action ».

Actuellement, trois États membres [Danemark, Pologne, Irlande] bénéficient d’une option de retrait « négociée » sur une ou plusieurs politiques de l’Union européenne.

Photo : Élèves de l’École de Maistrance [Marine nationale]. La directive 2003/88 ne s’applique pas aux militaires en formation

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