Un « parcours d’inspiration militaire » proposé à de jeunes délinquants passera par l’Académie de Saint-Cyr Coëtquidan

L’idée de donner un encadrement militaire de jeunes délinquants [ou en « perte de repères »] revient régulièrement dans le débat public. Candidate à l’élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal fit une telle proposition, qu’elle renouvela par la suite. Le député des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti allant plus loin en défendant une proposition de loi visant « à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants ». Enfin, en octobre 2018, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, proposa l’accompagnement d’élèves ayant des problèmes récurrents de discipline au sein de leur établissement par de « jeunes retraités de l’armée ».

Ayant à peine pris ses fonctions de ministre de la Justice, en juillet 2020, l’avocat Éric Dupont-Moretti reprit à son compte ce concept lors de sa première audition devant la commission des Lois, à l’Assemblée nationale. Puis il précisa son propos à l’antenne de RMC/BFMTV, quelques semaines plus tard.

« Je souhaite effectivement qu’il y ait un partenariat Justice/Armée pour certains mineurs, pour certains jeunes majeurs parce que je ne peux pas me résoudre à ce que de jeunes français sifflent la Marseillaise, crachent sur notre drapeau. Mais je dis également que quand on regarde un gamin, issu de l’immigration en particulier, comme un Français, il devient français », avait en effet expliqué Me Dupont-Moretti, précisant que des discussions étaient alors en cours avec Florence Parly, la ministre des Armées. « Les choses ne sont pas encore faites car, techniquement, c’est compliqué. Les idées parfois jaillissent mais la mise en oeuvre est peu plus compliquée », avait-il concédé.

D’autant plus que le chef d’état-major des armées [CEMA], qui était alors le général François Lecointre, s’était montré réservé face à un tel projet. « Je suis toujours très prudent en ce qui concerne ces idées, d’abord parce que mon premier souci est de préserver les capacités des armées, leurs ressources humaines et les investissements que la Nation consent pour construire un outil de défense efficace pour ce pour quoi elles sont faites », affirmera-t-il lors d’une audition parlementaire. Et d’insister : « Ces armées sont faites pour faire la guerre, elles ne sont pas faites prioritairement pour participer à l’éducation ou à la ‘correction’ […] de la jeunesse délinquante ».

Toujours est-il que, le 27 juillet dernier, les ministères des Armées et de la Justice annoncèrent la signature d’un « protocole » visant à « favoriser l’insertion sociale et professionnelle de jeunes Français confiés par l’autorité judiciaire à la PJJ [Protection judiciaire de la jeunesse]. Et l’un des trois axes définis par cet accord prévoyait la mise en place d’un « parcours d’inspiration militaire dans le projet pédagogique d’un établissement de la PJJ ».

Quatre mois plus tard, ce partenariat s’est concrétisé avec l’annonce de l’expérimentation d’un « parcours d’inspiration militaire » [PIM] dans la région Grand Ouest, alliant « pratique intensive d’activités d’inspiration militaire en pleine nature, stage de génie écologique et découverte du monde militaire » afin de « remobiliser les jeunes autour de valeurs fortes pour la vie en société ».

« Des jeunes délinquants pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse suivent un parcours d’inspiration militaire. J’en avais formulé l’idée dès mon arrivée, c’est désormais un projet expérimenté. Nos deux institutions ont des valeurs à partager », s’est félicité Me Dupont-Moretti.

Dans le détail, cette expérimentation, menée en partenariat avec l’association IRVIN, concerne des jeunes du Centre Éducatif Renforcé [CER] d’Évreux, une structure prenant en charge des « mineurs délinquants ou en situation de grande marginalisation, et qui doivent répondre au risque de récidive et d’incarcération ». Et elle implique l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.

Il s’agit ainsi de proposer à ces jeunes « une période de rupture et d’immersion en pleine nature de quatre semaines », via un « stage de pratique intensive d’activités militaires mêle marches, bivouacs, secourisme et chantier de génie écologique », qui sera suivi par une « semaine de découverte du monde militaire et de visite d’unités des Armées ».

En outre, précise le communiqué des ministères des Armées et de la Justice, un « accompagnement à l’insertion professionnelle est proposé aux jeunes afin de les orienter vers les métiers civils et militaires [selon leur parcours] ou vers la préparation du titre professionnel d’ouvrier de génie écologique, qui offre des garanties d’embauche ».

Lors des deux premières semaines, « l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, située à proximité du site où se déroule le parcours d’inspiration militaire, permet l’échange des jeunes pris en charge par la Protection judiciaire de la jeunesse avec des élèves qui les accompagnent », expliquent les deux ministères, pour qui ce « partage avec des jeunes ayant d’autres parcours est un atout supplémentaire pour assurer la prise de conscience des jeunes suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse et leur redonner confiance en leurs capacités ».

Ce nouveau dispositif fonctionnera-t-il mieux que ceux qui furent mis en place par le passé? En effet, il rappelle l’expérience menée dans les années 1980 par l’association « Jeunes en équipe de travail » [JET], créée à l’initiative de l’amiral l’amiral Christian Brac de La Perrière, d’Albin Chalendon, alors Garde des Sceaux, et d’André Giraud, alors ministre de la Défense. À l’époque, celle-ci organisait, avec le concours de militaires d’actives volontaires, des « stages de rupture » de quatre mois pour de jeunes délinquants, l’objectif étant de les accompagner sur la voie de leur réinsertion sociale et professionnelle.

Seulement, un rapport du Sénat, publié en 2003, constata l’échec de cette initiative. « Depuis sa création, 5.800 jeunes délinquants sont passés par JET. Les résultats obtenus montrent la très grande difficulté de réussir à réinsérer ces populations », avait-il avancé. Et le document d’ajouter : « L’association estime qu’un tiers des détenus majeurs ne terminent pas le stage en raison soit de leur expulsion pour non-respect de la discipline, soit de leur évasion, soit d’une mesure de libération anticipée. JET s’efforce de reprendre contact avec ses stagiaires deux ans après la fin du stage. Parmi ceux qui l’ont achevé, 20 % sont à nouveau incarcérés, 45 à 55 % semblent réinsérés et 35 à 45% n’ont pu être joints ».

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]