Crise avec la Biélorussie : La Pologne parle de déclencher l’article 4 du traité de l’Otan

Face à la crise migratoire provoquée à dessein par la Biélorussie, la Pologne n’a pas souhaité faire appel à Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Et cela, pour plusieurs raisons.

La première est que Varsovie n’a pas la même interprétation du concept d’État de droit que l’exécutif européen, ce qui lui vaut des relations tendues avec dernier, notamment depuis que la Cour constitutionnelle polonaise a contesté, début octobre, la suprématie du droit communautaire européen. Une autre est que la Commission européenne a refusé de financer la construction de barrières aux frontières de de douze États membres de l’UE, ce qui a agacé les autorités polonaises.

Enfin, la troisième raison, sans doute la principale, est que la Pologne considère qu’elle est aux prises avec une attaque relevant de la guerre « hybride », qu’elle estime commanditée par la Russie.

L’instrumentalisation de migrants comme tactique « hybride » avait d’ailleurs été évoquée par le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA] français, en juin dernier.

« Les réfugiés sont effectivement devenus une arme : certains les poussent en avant ou les manipulent. Le problème se posera différemment en combat de haute intensité, même si ce n’est pas exclu. Les militaires pourraient être les premiers au contact et auraient alors l’aspect pratique des évènements à gérer », avait-il dit, lors d’une audition parlementaire. « Comme il s’agit d’une arme ou d’un levier politique, la réponse devrait être avant tout politique : il faudrait des prises de position claires, de manière commune si on est en coalition, et, le cas échéant, de gros moyens d’accueil », avait conclu le CEMA.

Aussi, pour le gouvernement polonais, les moyens de FRONTEX ne pourront qu’être insuffisants pour faire face à la situation. D’ailleurs, et alors qu’il y a décrété l’état d’urgence, il a déployé 15’000 soldats dans les régions frontalières avec la Biélorussie, ce qui dépasse de loin les capacités de l’agence européenne.

Cela étant, ce 15 novembre, le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE devrait décider de nouvelles sanctions à l’égard de Minsk.

« Nous allons donner le feu vert à un élargissement du cadre juridique de nos sanctions contre la ­Biélorussie pour qu’on puisse l’appliquer à tous ceux qui participent au trafic de migrants vers ce pays, par exemple les compagnies aériennes ou les agences de voyages impliquées, en interdisant leurs dirigeants de voyager et en gelant leurs actifs en Europe. Mais cela ne nous empêchera pas de sanctionner dès lundi, dans le cadre déjà en vigueur et pour la cinquième fois, une trentaine de responsables de l’administration de Loukachenko qui sont impliqués dans cette crise », a en effet epliqué Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la polique de sécurité, dans un entretien publié par le Journal du Dimanche, le 14 novembre.

Cependant, c’est vers l’Otan que la Pologne entend se tourner. Et pas seulement elle : la Lituanie et la Lettonie, également confrontées à la crise migratoire orchestrée par leur voisin biélorusse, envisageraient d’en faire autant.

« Nous discutons avec la Lettonie et surtout avec la Lituanie de l’éventualité de déclencher l’article 4 du traité de l’Otan », a en effet affirmé Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais, auprès de l’agence de presse officielle PAP. « Pour nous, exprimer publiquement sa préoccupation n’est pas suffisant; nous avons désormais besoin de mesures concrètes et de l’engagement de l’ensemble de l’alliance », a-t-il fait valoir.

L’article 4 du traité fondateur de l’Otan stipule que les « parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée ». Depuis la création de l’Alliance, il a été invoqué à cinq reprises par la Turquie [en 2003, ce qui a donné lieu à l’opération Display Deterrence, deux fois en 2012, en 2015 et en 2020] et une fois, en 2014, par la Pologne, en raison de la situation en Ukraine.

Cet article « prévoit que les pays membres peuvent porter une question à l’attention du Conseil de l’Atlantique Nord et l’examiner avec les Alliés », précise l’Otan.

En attendant, la Pologne peut compter sur le soutien des États-Unis, dont le chef de la diplomatie, Antony Blinken, a déclaté que les « actions de la Biélorussie menaçaient la sécurité régionale et détournaient l’attention des activités militaires russes à la frontière ukrainienne », qu’il a qualifiées « d’inquiétantes », à l’instar de son homologue français, Jean-Yves Le Drian, avec lequel il s’est entretenu, le 13 novembre.

La veille, le chef du Quai d’Orsay et la ministre des Armées, Florence Parly, firent part à leurs interlocuteurs russes [Sergueï Lavrov et Sergueï Choïgou, ndlr] de « leurs préoccupations quant à la détérioration de la situation sécuritaire en Ukraine » et mirent « clairement en garde sur les conséquences graves de toute nouvelle atteinte éventuelle à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ».

Par ailleurs, le président biéolorusse, Alanxandre Loukachenko, a réclamé auprès de la Russie le déploiement, dans le sud et l’ouest de son pays, de missiles balistiques Iskander, d’une portée inférieure à 500 km. En clair, ces engins seraient tournés vers la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine. Pour le moment, on ignore s’il a déjà évoqué ce sujet avec Moscou, qui, ces derniers jours, a accentué son soutien militaire à Minsk, avec la tenue d’exercices impliquant des bombardiers stratégiques et des troupes aéroportées.

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