Pour le chef d’état-major des armées, le drone est aussi une « excellente arme de guerre informationnelle »

Durant la dernière guerre du Haut-Karabakh, les forces azerbaïdjanaises ont fait un usage intensif de munitions « rôdeuses » et de drones tactiques acquis auprès de la Turquie et d’Israël contre leurs adversaires. Ainsi, ces moyens, associés à des capacités de guerre électronique, ont permis de neutraliser des batteries de défenses aérienne ainsi que des chars mis en oeuvre par les troupes arméniennes.

Aussi, pour de nombreux observateurs, les modes opératoires éprouvés par l’Azerbaïdjan durant ce conflit préfigureraient les guerres de demain. D’ailleurs, plusieurs pays, dont la Pologne, ont depuis annoncé leur intention de se procurer des drones turcs Bayraktar TB-2. Et l’Ukraine en a récemment engagé un, avec succès, dans une mission de combat dans le Donbass.

« Les drones, pour partie armés, ont été utilisés en première ligne, selon des modes opératoires nouveaux [guidage de tirs d’artillerie,
leurrage, vols en essaims, attaques suicides] pour pénétrer les défenses sol-air adverses, permettant de réduire l’engagement – et donc le risque d’attrition – des moyens aériens traditionnels. Pour les experts, ces modes opératoires préfigurent les conflits de demain, où
les drones seront omniprésents », relevaient ainsi les auteurs d’un rapport du Sénat, publié en juillet dernier.

Et ceux-ci d’ajouter : « Cette évolution conduit à nous interroger sur l’opportunité d’acquérir une capacité semblable de drones peu coûteux et ‘sacrifiables’ mais aussi à évaluer le niveau de protection dont disposent nos forces armées. D’après nos auditions, celles-ci seraient vulnérables à cette menace, les petits drones, de par leur vitesse réduite et leur faible signature radar, n’étant pas détectables et, a fortiori neutralisables, par les défenses sol-air de courte et moyenne portée. Il est donc urgent d’acquérir une capacité de défense sur ce segment ».

Un constat similaire a été dressé en Allemagne, où une étude du « German Institute for Defence and Strategic Studies » [GDIS] a avancé que la Bundeswehr n’aurait eu aucune chance si elle avait dû affronter les forces azerbaïdjanaises. « Avec les systèmes d’armes qui ont été utilisés, tels que les drones de combat et les munitions rôdeuses, nous n’aurions pas été en mesure de nous défendre de manière adéquate. Le déficit capacitaire en matière de défense aérienne aurait causé notre perte à lui seul », fit en effet valoir le lieutenant-colonel Michael Karl.

Cela étant, aussi efficaces soient-ils, les drones ne sont pas suffisants pour faire la différence, les forces azerbaïdjanaises ayant par exemple aussi fait un large usage de l’artillerie. C’est en effet ce qu’a suggéré le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale [le compte-rendu a été publié cette semaine, ndlr].

« C’est vrai, les drones sont un élément déterminant. On ne peut plus dire que la France est en retard, mais elle n’est pas encore en avance. […] Vous direz que nous avons moins de drones que la Turquie. Oui, nous devons continuer à faire un effort pour les drones » car « ils ont un effet important sur le champ de bataille lorsque certaines conditions sont réunies », a dit le général Burkhard. Cependant, a-t-il ajouté, ce « n’est pas l’arme absolue permettant de tout faire en toutes circonstances ».

Cela étant a continué le CEMA, il s’agit d’une « excellente arme de guerre informationnelle, toujours séduisante, car on ne montre que des images où le drone voit sa cible, tire et l’atteint, alors que cela ne se passe pas toujours exactement comme ça. Mais l’effet psychologique n’en est pas moins négligeable ».

« Quelqu’un avait dit que le ciel du Haut-Karabakh avait été obscurci par l’arrivée de drones adverses : c’est justement l’image que cherche à donner celui qui les emploie », a conclu le général Burkhard sur ce sujet.

Une analyse de la guerre du Haut-Karabakh, publiée par l’armée de Terre, via son Centre de doctrine et d’enseignement du commandement, ne dit pas autre chose. Si l’apport des drones y est souligné, elle avance que leur utilisation a acquis une « dimension psychologique démultipliée ».

Ainsi, « des drones ISR [renseignement, surveillance, reconnaissance, ndlr] et des drones suicides » ont été « utilisés de manière indifférenciée, notamment par les forces azerbaïdjanaises, ce qui [a créé] un climat de terreur au sein des populations et des forces militaires, dans l’impossibilité de savoir si le survol d’un drone induit une frappe », avance cette étude. En outre, poursuit-elle, « les drones ISR sont équipés de caméras qui permettent de retransmettre des images et donc d’utiliser ces dernières à des fins de propagande ».

Enfin, note-t-elle, « la dissuasion conventionnelle des belligérants s’est appuyée sur un volet informationnel alimenté par la diffusion d’images, réelles ou non, de frappes ou de drones détruits », les ministère azerbaïdjanais de la Défense ayant par exemple publié « quotidiennement des enregistrements vidéo issus de drones sur les réseaux sociaux ». Et, à cet égard, conclut cette note d’analyse, « cette désinformation s’inscrit dans la continuité de la politique habituelle de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, puisque tous deux consacrent beaucoup de moyens au volet ‘informationnel’ de cette guerre depuis son origine ».

Photo : Drone « kamikaze » Harop © Israel Aerospace Industries

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