Haute intensité : L’armée de Terre mise sur la « différenciation » pour remédier à ses carences

Désormais, selon la Vision stratégique que vient de dévoiler le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], le continuum « paix / crise / guerre » n’est plus pertinent pour décrire la situation géostratégique actuelle. Et, désormais, il est question de mettre en avant les notions de compétition [entre puissances], de contestation [remise en cause de l’ordre établi afin d’imposer un fait accompli] et d’affrontement.

« Nous évoluons désormais dans un continuum ‘compétiton / contestation / affrontement’, au sein duquel nous devons être capable de dénier au plus tôt à nos compétiteurs, à nos ennemis le cas échéant, la possibilité de nous imposer leur volonté. Notre but doit être de gagner la guerre avant la guerre, c’est à dire de nous imposer dès la compétition tout en étant prêt à aller à l’affrontement si nécessaire », explique le général Burkhard.

Aussi, les armées françaises doivent disposer des capacités pour « gagner la guerre avant la guerre » tout en se préparant à l’éventualité d’un engagement de haute intensité. « Les deux pans de cette assertion sont d’égale importance. Les événements survenus depuis un an confirment toute l’actualité des rapports de force qui s’expriment souvent de manière ouverte ou indirecte sur un continuum évoluant de la compétition à l’affrontement en passant par la contestation », a ainsi souligné le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale.

Justement, après des années d’engagements dits « asymétriques », comme actuellement au Sahel et au Levant [ou comme autrefois en Afghanistan], l’armée de Terre est-elle au niveau pour la « haute intensité »? Le commandant des forces terrestres, le général Vincent Guionie, donne des éléments de réponse dans le dernier numéro de la revue Fantassins.

Dans un premier temps, le général Guionie fait le constat que, malgré des lois de programmation militaire « défavorables » et des coupes budgétaires subies pendant près de quarante ans, l’armée de Terre a su garder la « quasi-totalité de la palette » de ses capacités. Cela étant, « le temps et la majeure partie de ressources, toujours comptées, ont été essentiellement consacrés à préparer les engagements du moments » qui, s’ils se sont « progressivement durcis », n’ont jamais dépassé le seuil de la moyenne intensité » [contre-insurrection, maintien de la paix, par exemple].

La conséquence est, fait observer le général Guionie, que les régiments sollicités pour ces engagements n’ont pas eu à « matrîser les savoir-faire les plus exigeants de leur arme et de leur spécificité ». « Tout en entretenant a minima les spécificités, l’armée de Terre et l’infanterie ont donc misé sur sur la polyvalence assez étendue », insiste-t-il.

Les résultats se constatent dans les centres d’entraînement spécialisés. Et il est « sans appel », selon le commandant des Forces terrestres. « Le manque de maîtrise du dialogue interarmes [c’est à dire entre l’infanterie et l’artillerie, par exemple] d’une part, des savoir-faire de son arme et de sa spécialité […] d’autre part, est récurrent », écrit-il.

« Le manque de temps et l’atomisation des effectifs, systématiquement évoqués pour expliquer ces carences, ne peuvent à eux seuls justifier ce constat. Ces résultats sont aussi la conséquence d’une focalisation excessive de l’entraînement sur la seule OPEX [opération extérieure, ndlr] à venir, même lorsque l’échéance de celle-ci est éloignée », dénonce le général Guionie.

Pour y rémédier, l’armée de Terre mise donc sur la « différenciation », c’est à dire au retour à la spécialisation des régiments, notamment d’infanterie, et à la réappropriation par ces derniers de leurs savoir-faire propres. Et ce concept s’appliquera donc en premier lieu à la préparation opérationnelle, désormais tournée vers la haute intensité. Mais pas seulement.

« Des décisions ont été prises récemment afin que l’affectation ds équipements soit différenciée selon la spécificité des régiments [d’infanterie] : le VBCI équipera les régiments d’infanterie des brigades blindées, le GRIFFON ceux des brigades médianes amphibies et de la brigade franco-allemande, le SERVAL ceux des brigades de montagne et parachutiste », détaille ainsi le général Guionie.

De son côté, le commandant de l’École de l’Infanterie, le général Ivan Martin, explique que cette « différenciation » doit permettre aux unités de « se concentrer davantage sur la maîtrise et l’entretien de savoir-faire individuels et collectifs qu’elles sont les seules à détenir en propre ». Enfin, elle concernera également « le domaine de la tactique », à l’heure du programme SCORPION. « Les temps qui viennent devraient marquer un retour à une plus grande initiative tactique au plus bas niveau », estime-t-il ainsi, avant d’inviter à conduire une « réflexion tactique » à tous les échelons car elle est aussi « la clé des succès futurs ».

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