Le chef d’état-major des armées dévoile sa Vision stratégique

Publiée en janvier, la Revue stratégique actualisée a insisté sur le fait que les tendances et les menaces identifiées lors de sa première édition, en 2017, s’étaient encore accentuées. Et de noter un « durcissement » de la compétition entre puissances, avec la mise en oeuvre de stratégies « hybrides et multiformes » dans tous les champs de conflictualité, notamment dans ceux susceptibles de se prêter à des « agressions ambiguës ».

Chef d’état-major des armées [CEMA] depuis juillet, le général Thierry Burkhard en a tiré les conclusions, dans une « Vision stratégique » qu’il vient de dévoiler, après l’avoir évoquée devant la presse et les parlementaires en expliquant que, désormais, il s’agissait de « gagner la guerre avant la guerre ».

Ainsi, pour décrire l’évolution de la situation, le continuum « paix /crise / guerre » n’est désormais plus pertinent. Et, désormais, pour le général Burkhard, il convient de « préparer notre stratégie militaire à la lumière de trois notions », qui sont la « compétition », qui est devenue désormais le « mode normal d’expression de la puissance » dans de nombreux domaines [économique, militaire, diplomatique, juridique, culturel, etc], la « contestation », qui remet en cause les règles communément admises afin de chercher à imposer un fait accompli, et « l’affrontement ».

« Ces trois notions de compétition, contestation et affrontement sont étroitement intriquées. Deux acteurs peuvent ainsi se retrouver au même moment en compétition dans un domaine et en contestation dans un autre. Ils peuvent aussi être en contestation uniquement dans une zone géographique donnée et en compétition dans le reste du monde », est-il expliqué dans la Vision stratégique du CEMA.

Pour les armées françaises, cela implique qu’elles doivent en premier lieu « contribuer à la connaissance des capacités et des intentions des différents compétiteurs et de proposer en permanence des options militaires pertinentes au décideur politique », « contribuer à lever l’incertitude et empêcher l’imposition d’un fait accompli » et « de détecter les signaux faibles qui permettent d’anticiper la bascule vers l’affrontement ». Ce que le général Burkhard résume donc par la formule « gagner la guerre avant la guerre ».

Étant donné que cette « compétition » se déroule dans un nombre croissant de milieux et de champs de conflictualité, en particulier propices aux stratégies dites « hybrides » et de « contournement », lesquelles « combinent des modes d’action militaires et non militaires, directs et indirects, réguliers ou irréguliers, souvent difficiles à attribuer, mais toujours conçus pour rester sous le seuil estimé de riposte ou de conflit ouvert », les forces françaises doivent donc être en mesure de les contrer… en apprenant à les maîtriser, « dans le respect des principes qui fondent nos actions », avance le document.

Ce qui suppose deux choses : le renforcement des capacités « d’appréciation de la situation » [en clair : les moyens dédiés au renseignement et à l’analyse] et « élargir le spectre » des besoins capacitaires. Et cela, sans exclure, évidemment, l’hypothèse d’une engagement de « haute intensité ».

Aussi, le général Burkhard dit vouloir des armées qui « contribuent à l’exercice des responsabilités et à l’ambition de puissance d’équilibre de la France » tout en étant capables de « diriger des opérations en coalition », qui « participent activement à la stratégie nationale de puissance dès le stade de la compétition, où se confrontent déjà les intérêts des différents acteurs notamment par le biais de stratégies indirectes ou hybrides » et qui proposent au pouvoir politique une « très large palette d’options militaires, combinant des effets maîtrisés dans tous les milieux et champs de confrontation, avec une attention particulière pour l’action dans les milieux exo-atmosphérique et cyber et dans le champ informationnel, afin d’infléchir la détermination de nos adversaires en imposant des rapports de force favorables ».

Et à çette fin, les armées française devront être « organisées » de façon à « faire face à la surprise stratégique », tout en étant « résilientes au-delà des seules postures permanentes de dissuasion nucléaire, de sûreté et de protection » et « aptes en permanence à s’engager pour répondre à toute situation qui menacerait la France et ses intérêts, si nécessaire dans un affrontement de haute intensité ».

Pour cela, la Vision stratégique du général Burkhard propose trois axes d’efforts. Le premier vise à « renforcer et soutenir la communauté humaine des armées, sa résilience, ses compétences et sa richesse ». Là, il s’agit « d’accroître la résilience de cette communauté et d’en cultiver les forces morales ». En outre, il y est également souligné qu’il est « essentiel que les armées restent fidèles aux valeurs qui font leur force et qui sont partagées par une majorité de Français ».

Le document insiste également sur la nécessité de « défendre l’impératif de jeunesse » du personnel des armées ainsi que de « maintenir le juste équilibre » entre militaires et civils de la défense, et « d’augmenter les capacités d’expertise technique en quantité et en qualité ». En outre, et alors que la directive européenne sur le temps de travail fait débat, il plaide contre « toute banalisation du statut de militaire et au désarmement unilatéral par les normes et le droit ».

Le second axe s’intéresse aux capacités. Mais avant, s’agissant de la « masse », la Vision stratégique estime que la réserve opérationnelle doit prendre une « place croissante » dans le contrat opérationnel des armées. Et d’ajouter : « Au-delà de la fonction protection, elle doit contribuer à la prise en compte des enjeux de résilience et de volume de forces » tout en constituant une « ressource pour pourvoir aux besoins d’expertise dans des domaines spécialisés, où les ressources humaines sont rares ».

Cela étant, pour le général Burkhard, il est impératif de satisfaire les « besoins opérationnels des armées », en combinant le « niveau de performance des équipements et la recherche de masse », tout en prenant en compte la résilience, la rusticité et le recomplètement. Et ceci afin le modèle d’armée sout « crédible, équilibré et cohérent ». La Vision stratégique parle aussi de mettre en place des « processus agiles » afin d’identifier et de « résoudre les dilemmes capacitaires » en « proposant un juste point d’équilibre au regard des ressources allouées ».

Ceux-ci devront aussi permettre de « définir une expression réaliste du besoin, de saisir les opportunités de coopération, de raccourcir les cycles d’acquisition, de faciliter l’évolutivité et de réduire la durée et le coût des programmes ».

Enfin, le dernier axe met l’accent sur la préparation opérationnelle, laquelle « contribue directement à la crédibilité » des forces françaises. Elle doit ainsi « entraîner le personnel et la chaîne de commandement à la dureté des engagements, à la diversité et à l’ambiguïté des modes d’actions hybrides, à la mise en œuvre d’équipements à la complexité croissante, à la synchronisation des effets dans plusieurs champs et milieux, et à l’engagement en coalition avec nos alliés et partenaires ». En outre, de tels exercices sont susceptible de « diffuser des messages de portée stratégique et de signifier notre détermination à nos alliés, à nos compétiteurs et à nos adversaires ».

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