Haute intensité : L’aviation de combat française présente des fragilités qui peinent à se réduire

Alors que l’éventualité d’un engagement de « haute intensité » n’est plus une vue de l’esprit, l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] aura-t-elle les moyens de « faire face »? Le rapport pour avis rendu par le député Jean-Jacques Ferrara, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2022, émet quelques réserves, notamment au sujet de l’aviation de combat. Et il appelle à remédier au plus vite aux fragilités qu’il a identifiées.

L’un d’elles est la conséquence de l’intense activité opérationnelle de ces dernières années, en particulier au Levant et au Sahel, ce qui a pour effet de creuser la « dette organique » de l’AAE. Dette qui peine à se résorber, d’autant plus qu’elle s’est encore creusée à cause de la crise sanitaire.

« Le niveau d’engagement opérationnel a un impact direct sur la capacité de l’armée de l’Air et de l’Espace à former et entraîner les équipages de manière organique, c’est-à-dire sur la préparation opérationnelle », relève en effet M. Ferrara. Et il complique « la programmation des activités d’entraînement nécessaires au maintien des compétences à un haut niveau » alors que les opérations menées au Levant et au Sahel « ne couvrent pas l’ensemble du spectre des compétences requises pour les équipages de chasse, à l’instar du suivi de terrain, de la frappe dans la profondeur ou de l’acquisition de la supériorité aérienne dans un environnement contesté », poursuit-il.

Pour y remédier, l’AAE a mis en place des « formations différenciées », l’idée étant de pouvoir s’assurer que « l’ensemble des compétences requises soit détenues par un noyau dur de personnels ». Seulement, le revers de la médaille est qu’il y ait des équipages « spécialisés ne pouvant pleinement exploiter les potentialités de leurs aéronefs, en particulier sur Rafale, avion polyvalent ».

Par ailleurs, cette intensité des engagements opérationnels « n’est pas sans conséquence sur la formation des jeunes, en raison de l’absence des cadres – déployés sur les théâtres extérieurs – et d’une disponibilité des matériels encore trop faible, en particulier s’agissant des flottes de Mirage 2000 », relève le député. Ce qui fait qu’il y des retards de formation des jeunes personnels navigants de 3 à 12 mois selon les flottes.

Un autre point d’attention est la disponibilité des avions. Si elle tend à s’améliorer, elle reste « perfectible » selon M. Ferrara. « En prenant en compte les problématiques liées au moteur et le niveau de soutien opérationnel [NSO], la disponibilité technique opérationnelle [DTO] du Rafale [air et marine] atteint 55,8 % au premier semestre 2021, contre 50,4 % en 2020 », ce qui reste « à relativiser » étant donné que le « taux actuel apparaît très proche de celui constaté en 2018 [55,7 %], et pas si éloigné de celui des années 2017 [53,2 %] et 2019 [52,2 %] ».

La situation des Mirage 2000 n’est pas meilleure, en particulier à cause des « nombreuses difficultés liées à l’obsolescence des pièces, notamment au niveau de la coque radar ». Ainsi, le taux de disponibilité des Mirage 2000D s’est élevé « à 32,4% au premier semestre 2021, 37,7 % en 2020 et 39,9 % en 2019 ». La modernisation de 55 exemplaires, actuellement en cours, explique en partie cette évolution.

Sur ce point, justement, le « retrofit » de ces appareils se fait a minima. « Aucune amélioration significative des capacités air-air n’a été prévue, ce qui ne permettra pas au Mirage 2000D de tenir la posture permanente de sûreté alors que le Mirage 2000C va être retiré du service, le système de guerre électronique n’étant pas amélioré », déplore M. Ferrara, pour qui cette flotte d’appareils risque donc « d’être déclassée sur la scène internationale, d’autant plus dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité, voire même d’un conflit de moyenne intensité, comme c’est aujourd’hui le cas au Levant en raison de l’encombrement croissant du ciel comme du déploiement de systèmes de défense sol-air performants ».

Et puis il y a la question du nombre d’avions pouvant être engagés… Sur 102 Rafale dont disposait l’AAE en 2020, 14 étaient immobilisés pour être « cannibalisés ». Avec le contrat grec, 12 exemplaires seront prélevés… Et 12 de plus le seront également si la Croatie confirme sa commande de Rafale d’occasion.

Certes, les 12 Rafale acquis par la Grèce seront remplacés par des appareils neufs [le contrat a d’ores et déjà été signé]… Mais pour ceux qu’envisage d’acquérir la Croatie, rien n’est encore fait. En tout cas, selon le député, le gouvernement a fini par admettre que l’AAE ne disposera pas des 129 Rafale qui étaient prévus par la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25. L’écart serait, au mieux, de 11 unités. Et au pire, de 12 à 30. Qui plus est, les prélèvements de Rafale pour honorer les commandes à l’exportation « interviennent alors que durant la même période, 12 Mirage 2000C et 13 Mirage 2000D non rénovés seront retirés du service », rappelle-t-il.

Quant à l’ambition 2030 définie par la LPM, il n’est pas certain qu’elle soit atteinte. En clair, l’AAE ne devrait pas disposer de 185 Rafale comme convenu.

« Comme la cible fixée par l’Ambition 2030 pour le parc d’avions polyvalents ne sera probablement pas atteinte en 2030, l’armée de l’Air et de l’Espace continuera de mettre en œuvre une flotte mixte constituée de Rafale et de Mirage 2000D, avec un nombre total d’avions accru pour compenser la non-polyvalence des Mirage 2000. Le nombre d’avions attendu est ainsi d’environ 160 Rafale et une cinquantaine de Mirage 2000D », indique le rapporteur, citant une une réponse « apportée par écrit par le ministère des Armées » à un questionnaire qu’il lui avait adressé.

Par ailleurs, le député souligne que les « équipements de mission continuent de représenter une source de fragilité, essentiellement en raison de leur trop faible quantité ». Ce qui n’est pas nouveau… Hormis pour le Talios, la disponibilité des nacelles de désignation laser est insuffisante [34% au premier semestre 2021] « pour répondre aux exigences des engagements opérationnels et de la préparation opérationnelle des équipages ». En outre, certains font défaut, comme les équipements Mids [utilisés pour la Liaison 16], systèmes de détecteurs de départ missile ou encore les lance-missiles du Meteor.

Et justement, une autre fragilité concerne les stocks de munitions, dont le niveau est jugé insuffisant par le député.

« En raison de l’intensité des missions effectuées au Levant et en BSS [bande sahélo-saharienne, ndlr], le nombre de munitions air-sol consommées a été très important entre 2015 et 2020, avec un pic en 2016, au cours de laquelle une large part des 2 500 frappes effectuées au Sahel ont été réalisées. Cette situation a créé une forte tension sur les stocks de munitions, alors même que ceux-ci étaient en cours de constitution », commence par rappeller M. Ferrara.

Et même si des commandes ont été passées pour recompléter les stocks, ceux-ci demeurent insuffisants, « notamment dans un contexte de haute intensité », affirme le député. Et de dénoncer le « manque de cohérence et de continuité de la politique d’acquisition », comme cela été le cas pour les missiles air-air Meteor. Alors que le nombre « initialement prévus était de 200, la cible a été ramenée à 100, avant d’être rehaussée à 160, le tout pour un coût final sans nul doute supérieure à celui initialement envisagé », explique-t-il.

« Le faible nombre de munitions empêche les équipages de s’entraîner à les employer. Or, comme l’ont confié plusieurs des aviateurs […], ‘une munition qu’on ne tire pas, on ne la connaît pas' », fait valoir M. Ferrara. Aussi, « au regard du faible nombre de Météor, il apparaît inenvisageable que les équipages de chasse puissent effectuer des tirs d’entraînement ». Même chose – ou presque – pour les missiles MICA, dont le nombre en stock permet seulement « deux tirs d’entraînement » par an pour « l’ensemble de la 4ème escadre de chasse ». Et de conclure : « En la matière, la situation n’a eu de cesse de se dégrader au fil des années ».

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