Washington « négocie » l’accès à des bases russes en Asie centrale pour d’éventuelles opérations en Afghanistan

Maintenant qu’ils n’ont plus d’emprises en Afghanistan, que ce soit pour mener des opérations antiterroristes ponctuelles ou des missions de renseignement, les États-Unis ne disposent de la marge de manoeuvre qui était la leur après les attentats du 11 septembre 2001. L’Alliance du Nord, sur laquelle ils s’étaient appuyés pour faire tomber le régime taleb, n’existe plus et le Pakistan, par ailleurs proche allié de la Chine, n’est sans doute plus dans les mêmes dispositions qu’il y a vingt ans.

Or, les rapports des Nations unies sur la mouvance jihadiste publiés durant ces dernières années disent tous la même chose : le mouvement taleb afghan n’a jamais rompu ses liens avec al-Qaïda. Et leur retour au pouvoir, à Kaboul, devrait donner les coudées franches à l’organisation fondée par Oussama Ben Laden pour réinstaller des camps d’entraînement en Afghanistan, où la branche afghano-pakistanaise [EI-K] de l’État islamique s’y est désormais implantée.

Pour le chef d’état-major interarmées américain, le général Mark Milley, la reconstitution d’un « foyer terroriste » en Afghanistan est donc « probable ». Et, comme il l’a récemment dit lors d’une audition parlementaire, l’intervention militaire lancée en 2001 s’est donc soldée par un « échec stratégique ». « L’ennemi est au pouvoir à Kaboul. Il n’y a pas d’autre façon de décrire les choses », a-t-il insisté.

Pour autant, le chef du Pentagone, Lloyd Austin, a assuré, à plusieurs reprises, que les États-Unis ont les moyens de frapper les organisations terroristes à distance [« au-delà de l’horizon »]. Mais sans donner plus de détails. Il se dit la même chose au Royaume-Uni. « L’Afghanistan est probablement l’une des régions les plus inaccessibles du monde, et nous pouvons y opérer », a en effet déclaré, en août, l’Air Chief Marshal Sir Mike Wigston, le chef d’état-major de la Royal Air Force. « Les Alliés ont les capacités et la vigilance pour faire face aux futures menaces terroristes en provenance d’Afghanistan », a même affirmé Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan. Vraiment?

L’Afghanistan étant un pays enclavé, y mener des frappes contre un camp d’al-Qaïda ou de l’EI-K nécessite d’avoir les autorisations nécessaires pour survoler les pays voisins. Et avant d’arriver à une telle éventualité, encore faut-il avoir de bons renseignements. Or, sans facilités dans la région, la tâche s’avère quasiment impossible. Et cela vaut aussi pour un groupe aéronaval qui serait déployé en mer d’Arabie : ses aéronefs devront passer par le Pakistan, qui peut très bien leur fermer son espace aérien.

« Le Pakistan, qui a abrité les hauts dirigeants talibans depuis 20 ans, pourrait rejeter les demandes américaines d’utiliser son espace aérien. Les responsables pakistanais pourraient également avertir les terroristes que des frappes aériennes sont imminentes », a ainsi souligné Thomas Joscelyn, rédacteur en chef du Long War Journal, devant la commission sénatoriale des forces armées, le 30 septembre.

Cela étant, pour Lloyd Austin, les opérations à longue distance « sont difficiles mais absolument possibles » et les « renseignements qui les permettent proviennent de sources diverses, pas seulement de troupes sur le terrain ». C’est en effet ce qu’il a répété devant les sénateurs, le 29 septembre.

Selon Politico, le chef du Pentagone a donné quelques détails à huis clos. Ainsi, les parlementaires ont été « informés » qu’il était « sérieusement envisagé » de solliciter la Russie pour qu’elle permette à des forces américaines de mener des opérations antiterroristes en Afghanistan depuis des bases russes implantées en Asie centrale, notamment au Tadjikistan et au Kirghizstan.

Au cours de cette séance, le général Kenneth McKenzie, le chef de l’US CENTCOM, le commandement américain pour l’Asie centrale et le Moyen-Orient, a donné « des détails sur les types d’avions et les points de chute qui pourraient être utilisés pour frapper des cibles terroristes en Afghanistan », écrit Politico. Et cela, en sachant que les capacités que les États-Unis seraient susceptibles de déployer sur ces bases ne manqueront pas de susciter la curiosité des forces russes…

Il y a trois mois, le président russe, Vladimir Poutine, avait proposé à son homologue américain, Joe Biden, de permettre aux États-Unis d’utiliser des bases russes en Asie centrale pour des missions de renseignement en Afghanistan. Selon Reuters, cette offre avait été faite quand les deux responsables s’étaient rencontrés à Genève, le 16 juin.

Depuis, le Wall Street Journal a rapporté que le général Milley avait contacté le chef d’état-major des forces armées russes, le général Valery Gerassimov, pour évoquer les détails de cette proposition. Ce que l’intéressé a confirmé devant les sénateurs.

« Que les États-Unis se retrouvent potentiellement à compter sur Moscou pour leurs opérations antiterroristes en Afghanistan est une tournure étonnante des événements, après que le retrait américain du pays a provoqué un effondrement rapide du gouvernement afghan », a commenté Politico.

Pour Joni Ernst, sénatrice de l’Iowa, il est « incroyable que ce retrait d’Afghanistan nous ait mis dans une situation où nous collaborons maintenant avec les Russes et essayons de négocier avec eux sur notre présence dans la région ».

Photo : forces américaines et russes en Syrie

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]