Sous-marins/Australie : La France va-t-elle de nouveau quitter le commandement militaire intégré de l’Otan?

Estimant que la France avait désormais les moyens d’assurer seule sa défense grâce à l’arme nucléaire, le général de Gaulle décida, en 1966, de quitter le commandement militaire intégré de l’Otan [et non l’Otan en tant qu’alliance, comme il est faussement et souvent avancé].

« La France considère, qu’encore aujourd’hui, il est utile à sa sécurité et à celle de l’Occident qu’elle soit alliée à un certain nombre d’États, notamment à l’Amérique, pour leur défense et pour la sienne dans le cas d’une agression commise contre l’un d’eux », avait en effet expliqué le général de Gaulle.

Et de préciser : « La volonté qu’a la France de disposer d’elle-même, volonté sans laquelle elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où elle se trouve subordonnée. […] Au total, il s’agit de rétablir une situation normale de souveraineté, dans laquelle ce qui est français, en fait de sol, de ciel, de mer et de forces, et tout élément étranger qui se trouverait en France, ne relèveront plus que des seules autorités françaises. C’est dire qu’il s’agit là, non point du tout d’une rupture, mais d’une nécessaire adaptation. »

En 2008, le président Sarkozy décida que la France réintégrerait le commandement militaire intégré de l’Otan, avec l’objectif de faire progresser l’Europe de la Défense. À l’époque, les socialistes, qui s’étaient montrés hostiles à la décision prise par le général de Gaulle 42 ans plus tôt, s’y opposèrent, au point de déposer une motion de censure. Pour autant, ils ne remirent pas en cause cette évolution quand l’un des leurs – François Hollande – entra à l’Élysée.

Cela étant, la question du maintien de la France au sein de ce commandement militaire intégré de l’Otan se pose à nouveau, notamment après l’annonce – surprise – de l’alliance entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis pour la région Indo-Pacifique [AUKUS] et l’annulation de l’achat de 12 sous-marins français par Canberra, au profit d’une solution américaine [et/ou britannique].

Si on peut en comprendre le fond, la forme est en revanche très discutable… Dans son édition du 22 septembre, Le Figaro dévoile les coulisses de qu’il appelle la « trahison du siècle ». Ainsi, on y apprend que l’option d’acquérir des sous-marins nucléaires fut discutée dès mars 2020 au sein d’un comité très restreint réuni autour de Scott Morrison, le Premier ministre australien, que le Royaume-Uni joua le rôle de « condensateur » et « d’accélérateur » auprès des États-Unis et que le projet d’alliance fut finalisé lors du dernier sommet du G7, organisé en Cornouailles. Et le tout, dans la plus stricte confidentialité.

Ainsi, pendant que le président français, Emmanuel Macron, croisait le fer avec Boris Johnson, le chef du gouvernement britannique, sur la « guerre des saucisses » post-brexit, les discussions sur l’alliance AUKUS allaient bon train… Par la suite, les États-Unis cachèrent à la France leurs intentions. Le 25 juin, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, assura encore à son homologue français, Jean-Yves Le Drian, que le « contrat des sous-marins avec l’Australie [était] considéré à Washington comme une pièce maîtresse de l’engagement français en Indo-Pacifique », rappelle Le Figaro. Et le sujet ne fut pas plus évoqué lors des échanges ultérieurs entre l’Élysée et la Maison Blanche.

D’où la réaction de Paris, qui a rappelé ses ambassadeurs aux États-Unis et en Australie… Et les mots de M. Le Drian, qui a parlé de « mensonges » et de « duplicité ».

Par ailleurs, l’exécutif de l’Union européenne a été long à réagir à cette affaire… La président de la Commission, Ursula von der Leyen, a ainsi déploré, à l’antenne de CNN, le 20 septembre, qu' »un de nos États membres a été traité d’une manière qui n’est pas acceptable ». Et d’ajouter : « Nous voulons savoir ce qui s’est passé et pourquoi ». Quant au président du Conseil européen, Charles Michel, il a dénoncé un « manque de loyauté » et de « transparence » des États-Unis à l’endroit de la France.

Il a ensuite été dit que Paris avait reçu le soutien des ministres des Affaires européens des 26 autres membres de l’UE… Enfin presque : ce 22 septembre, la cheffe du gouvernement danois, Mette Frederiksen, a pris la défense des États-Unis. « Je pense qu’il est important de dire – par rapport aux discussions qui ont lieu en Europe en ce moment – que je vois Biden comme très loyal envers l’alliance transatlantique. Et globalement, on ne devrait pas transformer des défis concrets, qui existeront toujours entre alliés, en quelque chose qu’ils ne devraient pas être », a-t-elle affirmé dans un entretien donné au journal Politiken.

Aussi, l’UE n’est propablement pas aussi unanime qu’on veut bien le dire. D’autant plus que certains pays membres comptent sur les États-Unis – et l’Otan – pour leur sécurité. Qui plus est, le 16 septembre, Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, a assuré que cette affaire n’altérerait pas les « relations avec Canberra », ni celles avec Washington.

Cela étant, la France est en quête d’une réponse forte… Ce qui donne d’ailleurs lieu à des « infox », comme celle avancée par le journal britannique The Telegraph, qui a affirmé que Paris laisserait son siège de membre permantent au Conseil de sécurité de l’ONU à l’UE en échange d’une « armée européenne ». Ce qui a contraint l’Élysée à apporter un démenti ferme. « Contrairement aux affirmations du tabloïd anglais Daily Telegraph relayées ce matin, non, la France n’a pas proposé de laisser son siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Il est à la France et le restera », a en effet répondu la présidence française.

Mais une autre option plus sérieuse semble faire son chemin, selon Alix Bouilhaguet, éditorialiste politique de Alix à Franceinfo, qui s’appuie sur les confidences d’un des proches de M. Macron.

« Deux stratégies s’affrontent. Celle du ministère des Affaires étrangères, qui souhaite minimiser, faire profil bas. Ce n’est pas du tout la position du président de la République, qui souhaite au contraire marquer le coup. […] Il veut marquer les esprits, il veut taper fort, montrer qu’on ne s’essuie pas les pieds sur la France. Parmi ses options, il a une carte maîtresse : sortir du commandement intégré de l’Otan. Ce serait une décision très forte, lourde en symboles », a révélé Mme Bouilhaguet, ce 22 septembre.

Tout devrait se jouer lors de l’entretien que doit avoir M. Macron avec son homologue américain, Joe Biden. « De deux choses l’une, soit le président américain trouve les mots de l’apaisement et peut être les actes. Si ce n’est pas le cas, alors Emmanuel Macron pourrait aller jusqu’au bout de cette option […], ce qui n’exclurait en rien les alliances militaires. C’est exactement ce qu’avait fait Charles de Gaulle en son temps », a poursuivi Alix Bouilhaguet.

Interrogé sur ce possible retrait du commandement militaire intégré de l’Otan, le député Jean-Louis Bourlanges, membre de la majorité et président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale, a dit qu’il n’y est pas favorable. « Quand il pleut, il y en a toujours un qui propose la politique de Gribouille, qui consiste à se jeter à l’eau. Mais ce n’est pas forcément le bon système », a-t-il affirmé sur LCI.

« Est-ce que nous avons des valeurs communes aux pays d’Europe occidentale, aux États-Unis, à l’Angleterre ? Oui ! Nous défendons une certaine idée de l’Homme, de la démocratie », a ensuite développé M. Bourlanges. « L’Otan est une organisation militaire, et non politique. Donc les rapports entre la Chine et le monde occidental ne doivent pas se régler politiquement à l’intérieur de l’Otan, mais entre l’UE et les États-Unis », a-t-il conclu.

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