Un rapport de l’Institut de recherche de l’École militaire souligne l’ingérence chinoise en Nouvelle-Calédonie

Capitale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Port-Moresby est le terrain de toutes les rivalités. Et pour cause : située à un peu moins de 600 km de l’extrême nord de l’État australien du Queensland, cette ville portuaire suscite l’intérêt particulier de la Chine, qui pratique la diplomatie du chéquier pour y étendre son influence.

En août 2019, alors nouvellement nommé Premier ministre, James Marape, demanda à Pékin de refinancer l’intégralité de la dette du pays… avant de faire machine arrière. Et, quelques semaines plus tard, l’Australie octroya à la Papouasie-Nouvelle-Guinée un prêt de 185 millions d’euros afin de lui permettre de « placer son budget sur une trajectoire plus durable, d’offrir des services gouvernementaux de base et de soutenir les réformes économiques de long terme ».

Cela étant, située à plus de 1’000 km à l’est de Port-Moresby, l’île de Guadalcanal, où se trouve Honiara, la capitale des îles Salomon, intéresse beaucoup la Chine. Et son influence grandisssante s’est traduite, en 2020, par la décision de ce petit État du Pacifique de lâcher Taïwan. Ce qui a donné lieu à des tensions, Malaita, l’une des principales îles de l’archipel [200’000 habitants] ayant par la suite fait part de son intention d’organiser un référendum sur son indépendance.

Un an plus tôt, l’archipel des Kiribati avait consommé sa rupture avec Taïwan, Pékin ayant mis des arguments de poids dans la balance, comme le financement de la construction de digues pour prévenir une éventuelle montée des eaux due au déréglement climatique. Cependant, et en échange, la Chine serait sur le point de disposer de l’île de Kanton, où une base américaine fut installée durant la Seconde Guerre Mondiale. Or, l’emplacement est idéal car situé à mi-chemin entre l’Australie et… Hawaï.

Non loin de là, l’archipel Vanuatu fait l’objet de toutes les bonnes intentions de Pékin, à coup de centaines de millions de dollars d’investissements. Et pour cause : en 2018, il avait rapporté que Port-Vila était sur le point d’autoriser la construction d’une base militaire chinoise sur l’une de ses îles.

Tous ces pays font partie d’un arc de cercle qui ferme la mer de Corail à l’est de l’Australie. Enfin presque : ce serait effectivement le cas s’il passait par la Nouvelle-Calédonie. D’où l’intérêt que porte Pékin à ce territoire français du Pacifique, qui aura de nouveau à se prononcer sur son éventuelle indépendance en décembre prochain.

En effet, un premier référendum, organisé en 2018, s’était soldé par la victoire du « non » à l’indépendance à 56,7%. Puis une second s’est tenu en 2020, avec un résultat identique, bien qu’inférieur de 3,4% par rapport au précédent. Et un troisième aura donc lieu, à la demande des indépendantistes du FLNKS, de l’UNI et de l’UC.

Or, dans un volumineux rapport [plus de 640 pages] décrivrant les opérations d’influence chinoises, Jean-Baptiste Jangène Vilmer et Paul Charon, de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Miliaire [IRSEM] soulignent l’intérêt particulier que porte Pékin aux mouvements indépendantistes néo-calédoniens.

« Il est dans l’intérêt de Pékin d’encourager des mouvements indépendantistes, pour récupérer des parts de marché ou fragiliser de potentiels adversaires », notent-ils. Or, « s’il y a eu des soupçons d’ingérence chinoise dans le référendum de 2018 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, et si Pékin suit de près la progression du camp indépendantiste confirmée par le référendum de 2020, c’est parce qu’une Nouvelle-Calédonie indépendante serait de facto sous influence chinoise et présenterait au moins deux intérêts majeurs pour le Parti-État », avancent MM. Jeangène Vilmer et Charon.

Le premier intérêt est évident, à la lumière des manoeuvres de Pékin concernant les pays riverains de la mer de Corail : couper l’Australie d’éventuels renforts venant des États-Unis.

Ainsi, écrivent les auteurs du rapport, une Nouvelle-Calédonie acquise à la Chine « deviendrait la clé de voûte de la stratégie d’anti-encerclement chinoise, tout en isoldant l’Australie puisqu’en plus de Nouméa, Pékin pourra s’appuyer sur Port Moresby, Honiara, Port-Vila et Suva ».

Quant au second intérêt, il est économique étant donné que la Nouvelle-Calédonie assurerait à la Chine un « approvisionnement en matières premières, notamment en nickel ».

Dans ces conditions, la victoire des indépendantistes lors du prochain référendum [dont seront exclus les Européens arrivés sur l’archipel après 1994, ndlr] serait du pain béni pour la Chine. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle encourage tout ce qui va dans ce sens, notamment en « entretenant des relations avec l’élite politique et économique locale ».

« La Chine fonctionne en noyautant l’économie, en se rapprochant des responsables tribaux et politiques parce que c’est la méthode la plus efficace et la moins visible. Sa stratégie est parfaitement rodée et elle a fonctionné ailleurs dans le Pacifique », lit-on dans le rapport.

Quant au référendum, le risque est qu’il fasse l’objet d’ingérences via la diffusion de fausses informations a été pris en compte par le gouvernement français. Ce scrutin sera l’occasion pour la nouvelle agence Viginum, créée cet été par le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale [SGDSN], de faire premières armes. Pour rappel, sa vocation est de répérer les tentatives de déstabilisation et d’ingérence de pays étrangers.

Le risque de voir la Nouvelle-Calédonie passer sous influence chinoise a-t-il été pris en compte dans la réflexion ayant conduit l’Australie à annuler son achat de 12 sous-marin auprès de la France et à se rapprocher des États-Unis et de la Grande-Bretagne?

À ce propos, candidat à la prochaine élection présidentielle, Michel Barnier [LR] a déclaré, ce 21 septembre, sur France 2 que, après le « désastre diplomatique et industriel » de la vente de sous-marins à l’Autralie, « nous devons réfléchir à nos propres erreurs dans cette grande région indo-pacifique » de laquelle « les Américains et les Chinois […] veulent nous éliminer ». Et d’ajouter : « Nous avons des raisons d’avoir une ambition française dans cette région, car nous avons une présence importante à laquelle nous tenons », notamment en « Nouvelle-Calédonie ».

« Il serait bien que le gouvernement actuel, que le président, ne se contentent pas d’une position neutre » à l’égard de ce territoire, et « que la France réaffirme son attachement à la Nouvelle-Calédonie », a encore insisté M. Barnier.

Mais encore faut-il avoir les moyens militaires suffisants pour « peser ». « On pourrait imaginer à l’avenir une tentative d’éviction de la France de certaines régions du monde, notamment celles où nous avons des territoires. Nous devons pouvoir décourager et si nécessaire empêcher de telles initiatives » et, pour cela, « nous devons avoir des équipements répondant à la hausse du niveau de menace », avait prévenu l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale, en février dernier.

Sauf que ce n’est pas encore le cas. « On récolte ce que l’on a semé. Pour des questions budgétaires les nouvelles capacités ont été échelonnées dans le temps et nous prenons aujourd’hui livraison des matériels d’il y a dix ans. C’est-à-dire que nous mettons en service la génération d’avant », avait en effet déploré le CEMM.

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