L’affaire des sous-marins australiens vire à la brouille diplomatique entre la France et les États-Unis

La décision australienne de renoncer à l’acquisition de 12 sous-marins à propulsion classique de type « Shortfin Barracuda » [ou classe « Attack »] auprès du groupe français Naval Group n’en finit pas de faire des vagues. Au point que les relations diplomatiques entre Paris, Canberra et Washington prennent l’eau.

Pour rappel, en 2016, l’Australie avait choisi le Shortfin Barracuda, un sous-marin océanique correspondant aux besoins exprimés à l’époque par la Royal Australian Navy, dans le cadre d’un contrat alors évalué à 34 milliards d’euros.

Sur cette somme, seulement 8 milliards d’euros devaient revenir à Naval Group et à ses sous-traitants français, les navires devant être construits par un chantier naval australien. Ce qui supposait de consentir à des transferts de technologie et de savoir-faire. Par ailleurs, Lockheed-Martin avait été désigné par Canberra pour livrer les systèmes de combat de ces futurs sous-marins, dont le premier exemplaire était attendu par la RAN en 2027.

Par la suite, le programme des sous-marins « Attack » fut constamment sous le feu des critiques d’une partie de la presse australienne. Critiques alimentées par la hausse sensible des coûts, due en partie à l’évolution du taux de change et des exigences de Canberra pour son industrie, celle-ci devant exécuter 60% du contrat alors qu’elle ne possédait jusqu’alors aucun expérience dans la construction de sous-marins.

Quoi qu’il en soit, et alors que son Premier ministre, Scott Morrison, a assuré avoir averti Paris que le contrat en question pouvait être annulé, l’Australie a donc annoncé l’annulation du programme « Attack » afin de, finalement, se procurer des sous-marins à propulsion nucléaire dans le cadre de l’alliance AUKUS, nouée avec les États-Unis et le Royaume-Uni pour contrer l’influence chinoise dans la région Indo-Pacifique. D’où la colère de la France, qui a également dénoncé les manoeuvres américaines dans cette affaire.

« C’est, en bon français, un coup dans le dos. […] Nous avions établi avec l’Australie une relation de confiance. Cette confiance est trahie », a déploré Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, après l’annonce de Canberra. « Cette décision unilatérale, brutale, imprévisible, ça ressemble beaucoup à ce que faisait monsieur Trump », a-t-il également estimé, avant de demander des « clarifications de la part des uns et des autres ».

Pour montrer son mécontentement, Paris a annulé un gala qui devait être organisé à l’ambassade de France à Washington pour le 240e anniversaire de la victoire remportée par la marine française face à son homologue britannique à Cheasapeake. Puis, le ton est monté d’un cran, le 17 septembre.

« À la demande du Président de la République, j’ai décidé du rappel immédiat à Paris pour consultations de nos deux ambassadeurs aux Etats-Unis et en Australie », a annoncé M. Le Drian. « Cette décision exceptionnelle est justifiée par la gravité exceptionnelle des annonces effectuées le 15 septembre par l’Australie et les Etats-Unis », a-t-il continué.

« L’abandon du projet de sous-marins de classe océanique qui liait l’Australie à la France depuis 2016, et l’annonce d’un nouveau partenariat avec les États-Unis visant à lancer des études sur une possible future coopération sur des sous-marins à propulsion nucléaire, constituent des comportements inacceptables entre alliés et partenaires, dont les conséquences touchent à la conception même que nous nous faisons de nos alliances, de nos partenariats et de l’importance de l’Indopacifique pour l’Europe », a ensuite justifié M. Le Drian.

Depuis que la France et les États-Unis ont établi des relations diplomatiques [avant même l’indépendance de ces derniers], et malgré quelques nuages, jamais une telle mesure n’avait été prise par Paris. En diplomatie, il existe plusieurs niveaux pour exprimer ses désaccords.

Le premier consiste à convoquer l’ambassadeur du pays avec lequel il y a un différend pour obtenir des explications et/ou faire passer un message. En dernier recours, la rupture des relations diplomatiques peut être décidée. Entre ces deux extrémités, il peut y avoir l’expulsion de diplomates par le pays accréditant et, donc, le rappel de l’ambassadeur « pour consultation ». Depuis 2017, la France a eu recours à une telle mesure avec l’Italie [au moment de la crise des gilet jaunes] et la Turquie.

« Nous avons été en contact étroit avec nos alliés français », et « nous espérons pouvoir continuer notre discussion sur ce sujet à haut niveau dans les prochains jours, y compris à l’Assemblée générale de l’ONU la semaine prochaine » à New York, a réagi Ned Price, le porte-parole de la diplomatie américaine, après l’annonce faite par M. Le Drian, assurant que Washington « comprend [la] position » française. Et de conclure : « La France est un partenaire essentiel et notre plus ancien allié, et nous accordons la plus haute valeur à notre relation ».

Côté australien, la ministre des Affaires étrangères, Marise Payne, avait auparavant dit « comprendre » la déception française. « Il est évident que ce sont des questions très difficiles à gérer. […] Mais nous continuerons à travailler de manière constructive et en étroite collaboration avec nos collègues français », a-t-elle affirmé, depuis Washington.

Dans cette affaire, la France semble faire peu de cas du Royaume-Uni, qui sera pourtant impliqué dans le programme des sous-marins nucléaires australiens. D’ailleurs, on ignore encore s’ils seront conçus à partir des Virginia américains ou des Astute britanniques…

En quittant l’Union européenne [UE], le Royaume-Uni est « revenu dans le giron américain avec une forme de vassalisation acceptée. Il faut donc agir en Européens et renforcer nos capacités de réflexion, d’autonomie stratégique et de défense », a commenté Clément Beaune, le secrétaire d’État français aux Affaires européennes.

Sauf que les 26 autres États membres de l’UE n’ont pas forcément les mêmes intérêts que la France dans la région Indo-Pacifique et que le contrat des sous-marins australiens n’intéresse que Paris. Et, dans leur majorité, les Européens feront toujours passer l’Otan avant le reste, c’est à dire leur relation avec les États-Unis.

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