L’Australie assure avoir prévenu la France d’une éventuelle annulation de son achat de sous-marins

Hasard du calendrier, c’est le jour où la Commission européenne s’apprêtait à dévoiler les grandes lignes d’une stratégie pour la région Indo-Pacifique que l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis ont annoncé qu’ils allaient former l’alliance « AUKUS » pour mieux faire face aux ambitions chinoises dans cette partie du monde. Ce qui s’est traduit, pour Paris [et Naval Group en particulier], par la décision australienne de renoncer aux douze sous-marins français Shortfin Barracuda [ou Attack] au profit d’une coopération avec Londres et Washington afin de se procurer des navires à propulsion nucléaire.

Le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a dit n’avoir été « ni consulté ni averti » de la formation de cette alliance AUKUS. D’ailleurs, on se demande bien pourquoi il l’aurait été… Cependant, il a estimé que celle-ci « apporte la preuve, si besoin en était, de l’importance de la zone indo-pacifique et de la nécessité pour nous de porter haut la réflexion de l’autonomie stratégique de l’Europe et de la nécessité d’exister et d’agir par nous-même ».

En tout cas, le seul pays de l’Union européenne à avoir été impacté par l’annonce de cette nouvelle alliance est la France, en raison de sa relation stratégique avec l’Australie [sur laquelle repose en partie sa stratégie pour l’Indo-Pacifique] et de ce contrat concernant les sous-marins. « C’est vraiment, en bon français, un coup dans le dos », a commenté Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères. « Nous avions établi avec l’Australie une relation de confiance. Cette confiance est trahie », a-t-il ajouté, déplorant dans un même élan l’attitude des États-Unis dans cette affaire.

Que l’Australie décide de se doter de sous-marins nucléaires et de renoncer à ceux que lui proposait la France tout en déchirant les accords précédemment signés [dont celui de mars 2021, qui engageait Naval Group à réinvestir 60% du montant du contrat dans l’économie australienne] parce qu’elle estime que cela répond à des impératifs de sécurité nationale, c’est son affaire. Et c’est aussi son argent. Et sur ce point, il n’est pas certain qu’elle soit gagnante. Qui plus est, la marine australienne devra faire avec ses six sous-marins de classe Collins au moins jusqu’en 2040… D’ici là, comment le monde aura-t-il évolué?

En tout cas, des indemnités étant prévues en cas de rupture d’un contrat, la pilule sera moins amère à avaler pour le constructeur naval français, dont le programme australien représentait 10% de son activité. « Le contrat est suffisamment ‘bordé’ pour que les indemnités de rupture du contrat couvrent les coûts de Naval Group et que les conséquences industrielles soient quasi indolores », a assuré une source « proche du dossier » au quotidien Le Figaro.

Quoi qu’il en soit, et comme le montrent les propos de M. Le Drian, la décision de Canberra a été très mal accueillie à Paris, où l’on souligne la « brutalité » de l’annonce et le jeu trouble des États-Unis, accusés d’avoir manoeuvré en coulisse pour évincer la France. Et la commémoration du 240e anniversaire de la bataille la baie de Cheasapeake, remportée par la marine royale française face à son homologue britannique, n’aura pas lieu ce 17 septembre, à l’ambassade de France à Washington, comme il était prévu.

Cela étant, la question est de savoir si les autorités françaises ont été mises devant le fait accompli, sans avoir été prévenues des intentions de leurs homologues australiennes, américaines et britanniques. Et cela alors que, le 30 août dernier encore, Paris et Canberra avaient de nouveau souligné l’importance de mener à bien le programme des sous-marins « Attack » destinés à la RAN.

« Nous avons été en contact avec nos homologues français au cours des dernières 24 à 48 heures pour discuter de AUKUS, y compris avant l’annonce », a déclaré Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine… Ce qui fait tout de même un délai un peu court… Et la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a dit la même chose. « Nous étions en contact avant cette annonce avec les dirigeants français au sujet de cette acquisition de sous-marins », a-t-elle assuré, lors d’une conférence de presse.

« Nous n’avons pas été informés de ce projet avant la publication des premières informations dans la presse américaine et australienne », a rétorqué Pascal Confavreux, le porte-parole de l’ambassade de France aux États-Unis.

Sauf que, ce 17 septembre, le Premier ministre australien, Scott Morrison [ou « ce gars en bas » de l’écran pour Joe Biden, le président américain], a affirmé que la France avait été informée dès le mois de juin d’une possible annulation du programme « Attack », et donc du contrat lié.

« J’ai été très clair, nous avons eu un long dîner à Paris [avec le président Macron, ndlr], sur nos préoccupations concernant les capacités des sous-marins conventionnels à faire face au nouvel environnement stratégique auquel nous sommes confrontés », a en effet affirmé M. Scott Morrison, sur les ondes de la radio Fiveaa. « J’ai dit très clairement que c’était une question sur laquelle l’Australie devait prendre une décision dans son intérêt national », a-t-il insisté.

Peu avant ce dîner, MM. Macron et Morrison avait fait une déclaration conjointe sur le perron de l’Élysée. Et si le premier évoqua le dossier des sous-marins [« pilier de notre partenariat », avait-il souligné], le second n’en souffla pas un mot.

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