Sous-marins/Australie : Pour le Sénat, certains alliés se « comportent comme des adversaires et non comme des concurrents loyaux »

Alors que, le 30 août, Paris et Canberra avaient de nouveau « souligné l’importance du programme » qui, confié au français Naval Group, consistait à livrer 12 sous-marin Shortfin Barracuda [classe Attack] à la Royal Australian Navy [RAN], l’Australie a finalement décidé de se rapprocher des États-Unis et de la Grande Bretagne afin, notamment, de se doter de huit sous-marins à propulsion nucléaire. Et cela, dans le cadre d’une alliance appelé « AUKUS », destinée à contrer l’influence de la Chine dans la région Indo-Pacifique.

« C’est une décision contraire à la lettre et à l’esprit de la coopération qui prévalait entre la France et l’Australie, fondée sur une relation de confiance politique comme sur le développement d’une base industrielle et technologique de défense de très haut niveau en Australie », ont réagi Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, respectivement ministres des Affaires étrangères et des Armées.

« Le choix américain qui conduit à écarter un allié et un partenaire européen comme la France d’un partenariat structurant avec l’Australie, au moment où nous faisons face à des défis sans précédent dans la région Indopacifique, que ce soit sur nos valeurs ou sur le respect d’un multilatéralisme fondé sur la règle de droit, marque une absence de cohérence que la France ne peut que constater et regretter », ont-ils ajouté. On notera que, à Paris, personne n’avait vu le coup venir…

Pour rappel, Naval Group avait été choisi en 2016 par l’Australie pour lui fournir 12 navires à propulsion conventionnelle, dérivés du sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] de type Barracuda [et dotés chacun d’un système de combat fourni par l’américain Lockheed-Martin, ndlr]. Ce qui impliquait des transferts de technologies et une large implication de l’industrie navale australienne. Seulement, ce « Future Submarine program » a constamment été la cible d’attaques lancées par des groupes de pression, avec la complicité de certains médias.

Quoi qu’il en soit, cette alliance AUKUS a radicalement changé la donne. Jusqu’alors, il n’était pas question pour les États-Unis de transférer leur technologie relative aux sous-marins nucléaires à un autre pays autre que la Grande Bretagne. D’où la surprise de l’annonce australienne.

« La première grande initiative d’AUKUS sera de livrer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie. Au cours des 18 prochains mois, nous travaillerons ensemble pour chercher à déterminer la meilleure voie à suivre pour y parvenir », a déclaré le Scott Morrison, le Premier ministre australien, lors d’une conférence de presse organisée pour annoncer la formation de cette nouvelle alliance.

« Nous avons l’intention de construire ces sous-marins à Adélaïde, en Australie, en étroite coopération avec le Royaume-Uni et les États-Unis. Mais permettez-moi d’être clair : l’Australie ne cherche pas à acquérir des armes nucléaires ou à établir une capacité nucléaire civile. Et nous continuerons de respecter toutes nos obligations en matière de non-prolifération nucléaire », a précisé le chef du gouvernement australien. Quant à l’abandon des sous-marins de type « Attack », ce « n’est pas un changement d’avis » mais « un changement de besoin », a-t-il assuré.

Outre-Manche, le ministre de la Défense, Ben Walace, a sorti la pommade pour tenter d’adoucir la partie française. « Nous ne sommes pas partis à la chasse aux opportunités. Fondamentalement, les Australiens ont pris la décision de vouloir une capacité différente. […] Nous n’avons pas l’intention de faire quoi que ce soit qui puisse contrarier les Français », qui « comptent parmi nos plus proches alliés militaires en Europe », a-t-il affirmé à Sky News.

Quant au président américain, Joe Biden, a donné dans le cynisme… « La France, en particulier, a déjà une présence substantielle en Indo-pacifique et elle est un partenaire et un allié clé dans le renforcement de la sécurité et de la prospérité de la région. Les États-Unis sont impatients de travailler en étroite collaboration avec la France et d’autres pays clés à mesure que nous progressons », a-t-il affirmé.

En attendant, il en faudra sans doute plus pour recoller les morceaux… Ainsi, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense, Christian Cambon, n’a pas mâché ses mots, dans un communiqué publié ce 16 septembre.

« Je suis profondément choqué par cette nouvelle, mais aussi par les conditions dans lesquelles nous l’apprenons. Cela remet en cause bien des certitudes. […] Nous allons devoir nous interroger sur l’attitude récurrente de certains de nos alliés, qui se comportent plus comme des adversaires que comme des concurrents loyaux. Ces dernières années, pour faire avancer les projets, nous avons accepté beaucoup de compromis, nous avons beaucoup tendu la main. Peut-être avons-nous été un peu innocents dans un monde qui ne l’est guère, et qui le sera encore moins demain. Cet événement doit marquer le début d’une prise de conscience pour la défense résolue de nos intérêts », a ainsi affirmé M. Cambon.

En outre, la commission estime que la décision de Canberra a de « graves conséquences » pour « l’image de la France, qui essuie un camouflet brutal qui témoigne de la considération que lui porte le gouvernement australien actuel », la « stratégie indopacifique » française, qui reposait notamment sur ce partenariat avec l’Australie, et la « cohésion entre alliés occidentaux », surtout après « la décision soudaine de la Suisse d’acheter des avions F35 » et le « retrait américain d’Afghanistan décidé et organisé sans aucune concertation avec les alliés de l’Otan ».

Enfin, appelant à évaluer « la nature exacte de la relation actuelle entre la France et son allié historique », les sénateurs s’interrogent sur l’avenir de l’architecture globale de sécurité et la non-prolifération, la « vente à un pays non doté de l’arme nucléaire de sous-marins nucléaires d’attaque » n’ayant « pas de précédent ». Et de demander : « Avec le nouveau projet envisagé, les Etats-Unis et le Royaume-Uni changent les règles du jeu. Les conséquences globales en ont-elles été bien mesurées? »

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