Terrorisme : La prise du pouvoir par les talibans dope la propagande de groupes liés à al-Qaïda

La prise de Kaboul par les talibans, après vingt ans de présence militaire américaine en Afghanistan, risque fort de nourrir la propagande de la mouvance jihadiste, en particulier celle proche d’al-Qaïda. Et cela peut éventuellement avoir des répercussions pour les forces françaises et européennes engagées au Sahel…

« Les musulmans et moudjahidines du Pakistan, Cachemire, Yémen, Syrie, Gaza, Somalie et Mali célèbrent la libération de l’Afghanistan et son application de la charia », a ainsi fait valoir Al-Thabat, une agence de propagande affiliée à al-Qaïda.

Cette prise du pouvoir des talibans « donne aux jihadistes un formidable élan. Cela leur fait croire qu’ils peuvent expulser une puissance étrangère, même une majeure, comme les États-Unis. […] Je m’attends à un solide bombardement de propagande, culminant avec le 20e anniversaire des attaques du 11 septembre [2001]. Cela va gonfler le moral des jihadistes, de l’Afrique du Nord jusqu’en Asie du Sud-Est », a ainsi estimé Colin Clarke, un directeur de recherche au groupe de réflexion américain Soufan Center, cité par l’AFP.

Une estimation partagée par Aymenn Jawad Al-Tamimi, chercheur de l’Université George Washington. « La conquête de l’Afghanistan par les talibans est quelque chose qui va enhardir les jihadistes partout », notamment « dans le contexte ouest-africain, où ont émergé toutes ces discussions sur les négociations avec le GSIM » [Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, lié à Al-Qaïda], a-t-il dit.

D’autant plus qu’al-Qaïda a fait allégeance au mollah Haibatullah Akhundzada, le chef du mouvement taleb afghan, comme il l’avait fait précédemment avec le mollah Omar.

« En tant qu’émir d’al-Qaida […], je vous donne mon allégeance, en renouvelant la tradition [instaurée] par notre chef Oussama ben Laden », avait en effet affirmé Ayman al-Zawahiri, le successeur du fondateur du réseau terroriste, en 2016, alors que le mollah Akhundzada venait de prendre la direction du mouvement taleb.

D’ailleurs, al-Qaïda n’a pas attendu que Kaboul tombe aux mains des talibans pour revenir en Afghanistan. En octobre 2015, soit près de deux ans après la fin des opérations de combat menées par l’Otan dans le pays et le début de la mission Resolute Support [avec 12’000 soldats pour accompagner l’armée afghane, ndlr], les forces américaines bombardèrent deux camps que l’organisation jihadiste avait installés dans le district de Shorabak [province de Kandahar]. Et il avait fallu 63 frappes aériennes et l’intervention, au sol, de 200 commandos afghans et américains pour en venir à bout.

Selon Resolute Support, cette opération avait permis de saisir de nombreuses armes [dont des systèmes anti-aériens] ainsi que des documents et du matériel électronique. Et elle fut considérée comme ayant été l’une des plus importantes « jamais menées en Afghanistan », selon les mots du général Wilson Shoffner, porte-parole du Pentagone à l’époque.

Pour le moment, le rôle exact qu’a pu tenir al-Qaïda auprès des talibans au cours de ces dernières semaines reste à préciser. Cependant, et comme l’a indiqué un récent rapport des Nations unies, l’organisation aurait été surtout active dans les provinces de Kandahar, du Helmand et de Nimroz. C’est, en tout cas, ce qu’a affirmé Thabat, sa lettre « d’information » hebdomadaire.

Quoi qu’il en soit, et d’après SITE Intelligence, une structure américaine qui surveille les activités jihadistes sur les réseaux numériques, al-Qaïda dans la péninsule arabique [AQPA], organisation implantée au Yémen et considérée comme étant la plus dangereuse, a félicité les talibans pour leur conquête de Kaboul.

« Cette victoire et cette prise de pouvoir nous révèlent que le jihad et le combat représentent le moyen légal et réaliste, sur la base de la charia, de rétablir les droits [et] d’expulser les envahisseurs et les occupants », a déclaré AQPA, via un communiqué repéré par SITE Intelligence.

Par ailleurs, et alors que les talibans enchaînaient les conquêtes sur le terrain, le département américain de la Sécurité intérieure [DHS – Department of Homeland Security] a publié un bulletin dans lequel il met en garde contre le risque accru d’attentat à l’approche du 20e anniversaire des attaques du 11 septembre 2001 et de plusieurs fêtes religieuses. Et, signe jugé inquiétant, AQPA a de nouveau publié son magazine en ligne « Inspire », l’un de ses principaux vecteurs de propagande. Cela n’était plus arrivé depuis quatre ans. C’est dans cette revue numérique que Charb, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, avait été mis sur la liste des cibles désignées par l’organisation… laquelle revendiqua l’attaque contre le journal satirique en 2015.

D’après le rapport de l’ONU déjà évoqué, et « après une période d’inactivité relative en janvier [2021], AQPA a commencé à mener des opérations à un rythme soutenu contre les Forces de la Ceinture de sécurité et d’autres groupes affiliés aux Émirats arabes unis et à l’Arabie Saoudite dans gouvernorats de Chaboua et d’Abiyan » et le groupe a « également affronté des membres du mouvement houthiste dans le gouvernorat de Beïda ».

Et d’ajouter : « AQPA reste le groupe terroriste le plus à même de combattre au Yémen et est bien établi dans les provinces du centre et de l’est. Sa priorité est d’établir son contrôle sur les ports du golfe d’Aden et sur les infrastructures pétrolières et gazières ».

Pour rappel, c’est au large du Yémen que le « destroyer » américain USS Cole fut la cible d’une attaque revendiquée par al-Qaïda, en octobre 2000. D’où les frappes régulièrement menées dans ce pays par les États-Unis. Frappes qui permirent d’éliminer plusieurs de ses chefs, dont Qasim al-Raymi, en janvier 2020.

Le sort de son successeur, Khalid Batarfi, est pour le moment inconnu. « Certains États Membres ont estimé que Batarfi avait été détenu, au moins temporairement, à la fin de 2020, mais que son statut avait pu changer depuis lors. Les informations disponibles sont insuffisantes pour tirer des conclusions définitives sur la question », lit-on dans le rapport de l’ONU.

Photo : capture d’écran

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