Un député allemand appelle à contrer l’offensive des talibans en Afghanistan

À l’allure où vont les choses, l’Afghanistan pourrait bien passer totalement sous la coupe des talibans d’ici quelques semaines… Ce qui n’était pas le cas avant l’intervention militaire américaine, lancée le 7 octobre 2001 en réponse aux attentats contre le World Trade Center et le Pentagone.

Initialement, les objectifs de l’opération « Infinite Justice » [qui s’appellera par la suite « Enduring Freedom »] étaient clairs : chasser les talibans du pouvoir et détruire les bases que possédait al-Qaïda sur le territoire afghan. Pour cela, les forces américaines et leurs alliés purent compter sur le Front uni islamique et national pour le salut de l’Afghanistan qui, abusivement appelé « Alliance du Nord », était constitué de plusieurs formations hostiles au mouvement taleb.

Puis, ces objectifs ayant été atteints, l’opération changea de nature. Dans la foulée des accords de Bonn [décembre 2001], il fut question d’aider le gouvernement afghan à assurer par lui-même la sécurité afin de faire en sorte que l’Afghanistan ne devienne plus un sanctuaire pour les terroristes. Il était alors question de faire du « nation building », avec le concours de l’Otan, via la Force internationale d’assistance à la sécurité. On connaît la suite…

« Nous n’en savions pas assez et nous n’en savons pas encore assez. […] La plupart d’entre-nous – moi y compris – avions une compréhension très superficielle de la situation et de l’histoire [de l’Afghanistan] et nous avions une vue terriblement simpliste de l’histoire récente », admettra, en 2011, le général Stanley McChrystal, ancien commandant de l’ISAF.

Vingt ans après « Infinite Justice », 160’000 civils et 5’000 soldats étrangers tués, sans oublier les plusieurs centaines milliards de dollars dépensés en pure perte malgré une succession de rapports tous aussi optimistes les uns que les autres, le mouvement taleb, qui a par ailleurs pu compter sur le soutien du Pakistan voisin, avance irrésistiblement ses pions, profitant du retrait des forces américaines [ainsi que de celui des troupes de l’Otan, alors engagées dans la mission Resolute Support]… Selon un responsable du Pentagone, cité par l’AFP, il pourrait prendre le contrôle de Kaboul d’ici trois mois.

En attendant, s’il n’avait pas la mainmise sur les territoires contrôlés par l’Alliance du Nord en 2001, ce n’est désormais plus le cas actuellement : le 10 août, le mouvement taleb s’est emparé de Faizabad, qui était l’une des places fortes tenues par ses opposants il y a vingt ans. Et cela, après avoir conquis les régions autour de Kunduz, où furent déployées les forces allemandes dans le cadre de l’Otan.

D’où la réaction du député allemand [chrétien-démocrate] Norbert Röttgen, jusqu’alors président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag [chambre basse du Parlement]. « Nous devons contrer la conquête de l’Afghanistan par les talibans », a-t-il lancé, via Twitter, avant de s’en expliquer sur les ondes de la Deutschlandfunk.

« Si les talibans conquièrent les capitales provinciales, alors l’Afghanistan sera entre leurs mains, avec le risque que le pays redevienne un refuge pour al-Qaïda », a affirmé le palementaire allemand. « Notre inaction aura des conséquences. Il y aura une guerre civile en Afghanistan, les gens vont fuir le pays. L’offensive doit être stoppée avant que l’hiver ne s’installe. Pour le moment, les talibans pensent à juste titre qu’ils n’ont pas à négocier, car ils peuvent prendre le pays militairement », a-t-il également estimé.

Et M. Röttgen a repris à son compte la formule utilisée par le social-démocrate Peter Struck, alors ministre de la Défense entre 2002 et 2005, selon laquelle « la sécurité de l’Allemagne passe par l’Hindu Kush ». Et d’ajouter : « Il ne s’agit pas de faire de l’Afghanistan une démocratie moderne. Personne n’exige cela [ou plutôt, plus personne ne l’exige, nldr]. Mais vous ne pouvea pas regarder tout ce que nous avons fait pendant vingt ans s’effondrer. Ce serait une atteinte massive à notre crédibilité! ».

Par ailleurs, le député a également soutenu que le « retrait unilatéral et précipité des États-Unis était une erreur » et de trouver « absurde » le fait de dire, à l’image de l’administration américaine, qu’il ne s’agit désormais plus que « d’un problème afghan ».

Au micro de Deutschlandfunk, il a rappelé que l’affaire a commencé quand les États-Unis ont activé la clause de défense collective prévue à l’article 5 du traité de l’Atlantique-Nord. Ce qui, à l’époque, avait été une première. Les « alliés de l’Otan, comme l’Allemagne et d’autres, ont loyaux envers l’Alliance. Si maintenant, après 20 ans, ils [les États-Unis] disent que tout cela est une affaire afghane, alors cela porte aussi atteinte à la crédibilité des Américains ».

Aussi, a continué M. Röttgen, les États-Unis « doivent intensifier leur soutien aérien » et l’Allemagne devrait « aider là où elle le peut ». Et d’insister : « Ce que nous pouvons faire, nous devons l’offrir » car « si nous continuons à dire que nous ne sommes prêts à rien, il ne se passera rien. Cette politique d’inaction ne rend pas justice au monde dans lequel nous vivons. Nous devons réussir à faire des offres nous-mêmes et ne pas toujours pointer du doigt les autres ».

Les propos du parlementaire n’ont pas manqué de faire polémique outre-Rhin, où la question des interventions militaires à l’étranger est souvent un terrain glissant… notamment en période électroale comme maintenant. Et les critiques les plus vives sont sans doute venues de son propre camp. Ainsi, la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a demandé si « la société et le Parlement étaient prêts à envoyer de nouveau la Bundeswehr en Afghanistan et à y rester pendant au moins une autre génération ». Et d’ajouter : « Si nous ne le sommes pas, alors le retrait reste la bonne décision ».

À noter que, selon le ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, le Royaume-Uni a proposé à plusieurs membres de l’Otan de maitenir une présence militaire en Afghanistan, après le retrait américain. « Certains ont dit qu’ils étaient enthousiastes, mais pas leurs parlements. Il est devenu assez rapidement évident que sans les États-Unis en tant que nation-cadre, rien ne serait possible », a-t-il confié au Daily Mail.

« Cela m’attriste que l’accord [de Doha, signé le 29 février 2020 entre les talibans et les États-Unis, ndlr] ait mis en pièces une grande partie de ce qui avait été réalisé en Afghanistan au cours des 20 dernières années. Nous reviendrons probablement dans dix ou vingt ans. Mais agir maintenant n’est pas possible. Le mal a été fait », a également affirmé M. Wallace.

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