L’influence de la Turquie en Libye préoccupe le chef de la diplomatie de l’Union européenne

« Notre succès tant diplomatique que militaire en Libye a ouvert la voie à une redistribution des cartes en Méditerranée mais aussi dans le monde », s’est récemment félicité Recep Tayyip Erdogan, le président turc.

Effectivement, en apportant son soutien au gouvernement d’entente nationale [GNA] libyen, alors menacé par l’Armée nationale libyenne [ANL], appuyée notamment par la Russie, les Émirats arabes unis et l’Égypte, la Turquie a renversé le rapport de forces, en envoyant à Tripoli des armes, des « instructeurs » militaires et des mercenaires recrutés en Syrie.

Depuis, la situation politique libyenne s’est améliorée, qui ne compte plus qu’un seul gouvernement. Pour autant, celui-ci n’a pas remis en cause les accords que le GNA avait conclus avec Ankara, notamment celui concernant les frontières maritime entre la Turquie et la Libye… Accord qui, s’il est considéré comme non conforme au droit international, permet à la partie turque d’appuyer ses revendications territoriale en Méditerranée orientale.

Cela étant, cette situation préoccupe Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.

« La Turquie est actuellement très présente en Libye, où elle y est devenue un acteur incontournable » et gràce aux « bases navales » dont elle pourra y disposer « face aux côtes italiennes », elle « va avoir une influence sur la route migratoire en Méditerranée centrale, comme c’est déjà le cas en Méditerranée orientale », a expliqué M. Borrell, dans les colonnes du quotidien El Pais, ce 29 juillet. Et d’ajouter : De leur côté, les Européens ont « été très divisés et cela a un prix ».

Le risque est donc que l’immigration devienne une « arme diplomatique ». Et « qui peut l’utiliser l’utilise », a lancé M. Borrell. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la Biélorussie avec la Lituanie… avec le concours de l’Irak. D’ailleurs, la veille, il s’était entretenu avec Fouad Hussein, le ministre irakien des Affaires étrangères, sur « la manière de faire face au nombre croissant de citoyens irakiens traversant irrégulièrement la Lituanie depuis la Biélorussie ».

« Il s’agit d’une question préoccupante non seulement pour un État membre, mais pour l’ensemble de l’UE. Nous comptons sur le soutien de l’Irak », a écrit M. Borrell, via Twitter.

« Un itinéraire a été mis en place. Les migrants irakiens sont transportés par avion de Bagdad à Minsk, puis en bus jusqu’à la frontière lituanienne, qu’ils traversent de manière irrégulière. C’est la réponse de la Biélorussie aux sanctions » de l’UE, a expliqué M. Borrell dans l’entretien donné à El Pais.

Quoi qu’il en soit, le Haut représentant n’est pas le seul à se préoccuper de l’influence que peut avoir la Turquie sur les flux migratoires transitant par la Méditerranée. Ce sujet a en effet été abordé lors d’une audition du général François Lecointre, désormais ex-chef d’état-major des armées [CEMA], à l’Assemblée nationale.

« L’hybridité est pratiquée par la Turquie au premier chef, mais également par la Russie et d’autres puissances. Ces compétiteurs considèrent qu’il n’y a pas de différence entre le moment de la paix et le moment de la guerre, ce qui leur permet d’exercer des confrontations de puissances et des jeux d’influence en jouant sur les champs économique et de la perception ou à travers des actions militaires menées par leurs armées, par des sociétés privées, par des armées vassales ou vassalisées ou par le biais d’instructeurs. Ils utilisent aussi l’arme démographique et de la migration », avait affirmé le général Lecointre.

« La Turquie, qui est le principal réceptacle de l’immigration en provenance d’Asie et en particulier d’Afghanistan – on peut d’ailleurs s’attendre à voir une recrudescence des migrations à partir de l’Afghanistan, qui passeront par la Syrie et donc par la Turquie – fait peser sur nous une telle menace. En se positionnant en Libye, elle tient un autre verrou des flux migratoires importants vers l’Union européenne », a ensuite décrit l’ex-CEMA. Et de demander : « Pour autant, les armées doivent-elles se mêler de contrôler les flux migratoires? ».

Son successeur, le général Thierry Burkhard, a également été interrogé sur ce sujet lors de sa dernière audition. Il lui a ainsi été demandé si, en cas de conflit majeur, l’armée pouvait « s’interposer face à une arrivée massive de réfugiés ».

« Les réfugiés sont effectivement devenus une arme : certains les poussent en avant ou les manipulent. Le problème se posera différemment en combat de haute intensité, même si ce n’est pas exclu. Les militaires pourraient être les premiers au contact et auraient alors l’aspect pratique des évènements à gérer. Cela pourrait être assez compliqué, mais je ne suis pas trop inquiet », a-t-répondu le général Burkhard. « Comme il s’agit d’une arme ou d’un levier politique, la réponse devrait être avant tout politique : il faudrait des prises de position claires, de manière commune si on est en coalition, et, le cas échéant, de gros moyens d’accueil », a-t-il conclu.

Quoi qu’il en soit, les contentieux entre l’UE et la Turquie ne sont pas près de s’aplanir… Outre les revendications territoriales turques en Méditerranée orientale, qui concernent Athènes et Nicosie, les dernières déclarations de M. Erdogan au sujet de Chypre ont été qualifées « d’inacceptables » par les 27 États membres de l’Union, qui se sont dits prêts à « utiliser les instruments et les options » à leur disposition « en cas d’actions unilatérales de la Turquie contraires au droit international ».

Pour rappel, le président turc s’était prononcé en faveur d’une solution à deux États [la République turque de Chypre Nord et la République de Chypre, ndlr] et d’une réouverture de l’ancienne station balnéaire de Varosha, devenue une ville fantôme depuis l’invasion turque de 1974.

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