Le ministère des Armées veut un radar passif de surveillance aérienne pour détecter les avions furtifs

Un radar actif détecte une cible en émettant des ondes électro-magnétiques et en revevant des échos en retour dès que ces dernières rencontrent un obstacle. Le temps écoulé entre l’émission et le retour de ces ondes permet de déterminer la position de l’objet ainsi repéré. Cela étant, un tel dispositif est peu discret, tout en étant sensible au brouillage, via par exemple l’émission de signaux radio-électriques pour saturer son émetteur.

Par ailleurs, les avions de combat dits de 5e génération ont la particularité d’avoir une faible signature radar. On parle alors de « furtivité ». Cependant, ils ne sont pas totalement indétectables pour peu que l’on utilise un radar passif, dont le principe a été défini dès la Seconde Guerre Mondiale, l’entreprise allemande Telefunken ayant réalisé un prototype appelé « Klein Heidelberg » en 1943. Ce dernier était constitué d’une énorme antenne afin de recevoir des signaux qui étaient ensuite exploités manuellement par plusieurs dizaines d’opérateurs.

En effet, un radar passif n’émet aucune onde. En revanche, il utilise toutes celles qui sont émises par les émetteurs de radio et de télévision ainsi que, de nos jours, par les réseaux de téléphonie mobile. Voire aussi les émissions des radars actifs [ennemis ou amis] et certaines transmissions des satellites de télécommunication et de géolocalisation.

Ainsi, ces ondes sont réfléchies dès qu’elles rencontrent un obstacle [un avion, un navire], puis elles sont ensuite captées par le récepteur du radar passif. Il est donc théoriquement possible de détecter et de localiser une cible, même « furtive », ainsi que d’évaluer sa vitesse de déplacement et sa trajectoire.

Les radars passifs présentent plusieurs avantages par rapport à ceux dits « actifs ». En premier lieu, comme l’expliquent François Delaveau et François Pipon, ingénieurs chez Thales, dans un article paru dans le dernier hors-série du magazine « Pour la Science« , un tel système « ne nécessite aucune allocation de fréquence spéficique ».

Ensuite, poursuivent-il, un radar passif est « indétectable puisqu’il se résume à un détecteur. Un avion ennemi équipé d’un détecteur de radars n’enregistrera en fait qu’une activité radio-électrique normale, constituée d’émissions de télévision, de radio et de réseaux de téléphonie mobile. […] Par ailleurs, en utilisant des bandes de fréquences basses, [il] présente un complément de couverture aérienne, notamment aux basses altitudes, très appréciable par rapport aux radars actifs, qui couvrent essentiellement les zones de moyenne et haute altitudes ».

Quant aux avions de 5e génération, leur furtivité est mise à mal par la géométrie bistatique des radars passifs ainsi que par leur capacité à exploiter les ondes de basses fréquences, contre lesquelles les revêtements absorbants de ces appareils sont faiblement efficaces.

Toutefois, un radar passif n’a pas que des avantages. Ou, du moins, leur efficacité dépend de plusieurs facteurs. Le premier est évident : pour qu’il puisse fonctionner, il faut qu’il y ait suffisamment d’émetteurs dans les environs… Ensuite, il est nécessaire de « s’assurer de la présence des émetteurs exploités, de leurs caractéristiques et de leur localisation », ce qui suppose « d’intégrer au sein du radar passif des systèmes de mesures dédiés à la récupération de ces informations », soulignent MM. Delaveau et Pipon.

Enfin, il est également nécessaire de disposer de systèmes informatiques dotés d’une grande puissance de calcul. Ce qui, avec les progrès constants réalisés dans ce domaine, permet d’envisager la mise au point de radars passifs efficaces… Surtout si on les associe avec des radars à antenne active [AESA].

Dans ce domaine, relativement peu connu, le groupe tchèque ERA a mis sur le marché les radars passifs Tamara et Vera NG. Passée sous pavillon américain dans les années 2000 [via Rannoch Corp, puis CSRA Inc.], elle vendu quelques uns de ses systèmes au Pentagone.

Plus récemment, le groupe Hensoldt a assuré que son radar passif Twinvis avait été en mesure de détecter deux F-35A de l’US Air Force à l’occasion de leur venue au salon aéronautique ILA de Berlin. Lockheed-Martin avait relativisé cette annonce en affirmant que les deux avions furtif étaient dotés de réflecteurs [des « lentilles » dites de Lüneburg] afin justement d’être visibles pour les radars civils. Sauf qu’un tel dispositif ne concerne pas les radars passifs…

En France, on s’intéresse aussi de près à cette technologie. En octobre 2015, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA], en partenariat avec le Centre de recherche de l’armée de l’Air [CReA] et le laboratoire SONDRA, fit tester un radar passif aéroporté à bord d’un motoplaneur Busard de l’École de l’air et de l’espace.

Mais il est question d’aller plus loin. En effet, l’édition 2021 du Document de référence de l’orientation de l’innovation de Défense [DrOID] que vient de publier l’Agence de l’Innovation de Défense [AID], il est fait mention d’une quinzaine de projets « emblématiques » appelés à ce concrétiser entre 2022 et 2024.

Certains d’entre eux ont connus, comme le démonstrateur de planeur hypersonique [dont le premier vol est attendu d’ici la fin 2021, voire début 2022, ndlr], le futur missile anti-navire et de croisière [via une coopération avec le Royaume-Uni, ndlr], ou encore comme les briques technologiques des programmes spatiaux IRIS et CELESTE.

Et il est aussi question, à la rubrique « Protection et surveillance », de mettre au point un « démonstrateur de radar passif pour la surveillance aérienne ». Aucune autre précision n’a été donnée par l’AID. Cela étant, dans leur article, MM. Delaveau et Pipon donnent quelques indices.

« La prochaine étape, déjà engagée chez Hensoldt comme chez Thales [qui a déjà développé le MSPR, pour Muti-static Silent Primary Radar, ndlr] et à l’ONERA, consiste en la mise au point de radars passifs hybrides, c’est à dire capables de couvrir en même temps plusieurs types d’émetteurs dans les bandes dites basses [radio FM et télévision numérique terrestre par exemple], en s’adaptant aux allocations de fréquences ayant cours dans différentes régions du monde », expliquent les deux ingénieurs. Enfin, concluent-ils, une « autre piste explorée est celle de l’installation de radars passifs sur des engins mouvants, par exemple flottants ».

À noter que l’ONERA compte plusieurs équipes dédiés à la recherche en matière de détection radar, l’unité MATS [Méthodes Avancées en Traitement du Signal] ayant, par exemple, la tâche de développer et d’évaluer les « techniques émergentes et novatrices en traitement du signal et de l’information » dans ce domaine. Celles-ci ont « vocation à être implantées dans les démonstrateurs développés au sein du département et à terme dans les futurs systèmes opérationnels ». Et elle est aussi également chargée des « développements et de la valorisation de systèmes de radar passif ».

Photo : Hensoldt

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