Le ministère des Armées doit trouver un milliard d’euros pour remplacer les 12 Rafale vendus à la Croatie

En mai, la Croatie a annoncé son intention d’acquérir 12 avions de combat Rafale d’occasion auprès de la France, pour un montant estimé à 930 millions d’euros. Évidemment, ces appareils seront prélevés sur la flotte de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE], comme, du reste, les 12 exemplaires de seconde main commandés par la Grèce.

Si ces derniers seront remplacés à l’unité près grâce à une commande notifiée à Dassault Aviation en janvier dernier, il n’était pas clair si ceux destinés à la Croatie allaient être également compensés à l’AAE, laquelle doit disposer de 125 Rafale à l’horizon 2025 si l’on s’en tient aux objectifs définis par la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25.

« Il est prévu que la totalité des ressources issues de la vente des avions Rafale d’occasion revienne aux armées. En particulier, ces ressources nous permettront de nous doter des équipements de mission nécessaires, dont nous avons besoin pour remplir la totalité de nos engagements opérationnels », avait expliqué le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense, le 8 juin.

Or, avait-il continué, « pour l’instant, je n’ai pas la répons sur la façon dont nous allons faire face aux conséquences de cette vente. Cela pose un nombre de difficultés de nature opérationnelle. J’ai un contrat à remplir, les armées doivent être capables de mettre en oeuvre des capacités opérationnelles et de les engager sur tous les théâtres. Aurons-nous ces capacités? Il faut que nous regardions de près et à quel prix ». En outre, les Mirage 2000C devant être retirés du service à partir de 2023-2024, le général Lecointre s’était demandé s’ils pouvaient être « remplacés par des avions Rafale » ou s’il était possible « d’encore les prolonger ».

Le 23 juin, la ministre des Armées, Florence Parly, apporta quelques éléments de réponse lors du débat organisé au Sénat sur l’ajustement de la LPM. « Quant à la vente d’avions d’occasion à la Grèce, je rappelle que nous avons déjà commandé pour 2025 les avions de remplacement. Nous exportons douze avions en Croatie. Ils seront compensés à notre armée de l’Air et de l’Espace. Nous passerons cette commande. Où est le problème? », avait-elle en effet affirmé.

Seulement, « compenser » signifie « équilibrer un effet par un autre ». Ce qui ne veut pas forcément dire que 12 Rafale neufs seront acquis pour remplacer ceux qui seront transférés à la force aérienne croate… En tout cas, une semaine avant le débat au Sénat sur la LPM, le Délégué général de l’armement [DGA], Joël Barre, avait évoqué ce dossier à l’occasion d’une audition à l’Assemblée nationale.

« Concernant la compensation nécessaire au profit de l’armée de l’Air, […] nous étudions deux scénarios », a commencé par dire M. Barre aux députés.

Ainsi, le premier, financièrement neutre à l’égard de la LPM, consisterait à utiliser les recettes tirées du contrat Rafale, soit entre 400 et 500 millions d’euros, pour « accroître la capacité Rafale dès 2025 » et « continuer à améliorer des performances de disponibilité déjà significativement augmentées grâce au plan d’amélioration de notre maintien en condition opérationnelle [MCO] et au contrat RAVEL [Rafale verticalisé] passé avec Dassault », a développé M. Barre.

« Il s’agirait en outre de doter le plus rapidement possible nos Rafale d’équipements de mission encore plus performants, en augmentant les livraisons de pods TALIOS [système optronique d’identification et ciblage à longue portée] de désignation laser, le nombre de radars à antenne active AESA et le parc des optiques frontales dotées de voies visibles et infrarouges », en ensuite détaillé le DGA. « Grâce à ces 400 à 500 millions d’euros de ressources extrabudgétaires, nous pourrions obtenir ainsi quatre-vingts Rafale pleinement dotés de ces capacités à l’horizon 2025 », a-t-il ajouté.

Et, selon M. Barre, « doter la flotte des Rafale de l’armée de l’air ou de la marine du plus grand nombre d’avions disponibles de pleine capacité, c’est un critère de jugement de la réponse aux besoins capacitaires sans doute aussi bon que le nombre d’avions effectivement livrés ». Sauf qu’un avion, aussi performant soit-il, n’aura jamais le don d’ubiquité…

Aussi, le second scenario, qui sans doute été retenu d’après ce qu’a sous-entendu Mme Parly au Sénat, vise à remplacer à l’unité près les Rafale prélevés sur la flotte de l’AAE.

Il « consiste à remplacer quantitativement au plus vite les douze avions prélevés pour la Croatie, mais par des avions ‘up to date’ : nous n’allons pas livrer à l’armée de l’Air des avions au standard actuel, et prévoir le standard du futur nous conduit déjà à l’horizon 2026, dans l’attente du fameux standard F4, qui déterminera les pleines capacités opérationnelles en matière de connectivité », a expliqué Joël Barre.

Le souci est que cette hypothèse suppose de « dégager un milliard d’euros supplémentaire sur la Loi de programmation militaire, alors que la recette de cession est estimée entre 400 et 500 millions d’euros », a conclu le DGA, précisant la réflexion devra être terminée d’ici « la fin du mois de juillet ».

Quoi qu’il en soit,  le général Lecointre avait souligné un aspect souvent oublié lors de sa dernière audition au Sénat : les contraintes « organiques » liées à la vente d’avions d’occasion.

« La vente de Rafale d’occasion pose un certain nombre de contraintes de nature organique à l’armée de l’Air et de l’Espace. D’une part, le soutien à l’exportation de ces avions nous impose de former des pilotes et des mécaniciens croates. D’autre part, l’armée de l’Air et de l’Espace doit elle-même disposer d’heures de vol, et donc d’avions en nombre suffisant, pour entraîner et former ses pilotes », avait-il dit.

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