Mme Parly : L’Europe ne doit pas s’attaquer aux industries de défense par le « biais de la loi et de la jurisprudence »

Il y avait déjà les règles de « compliance », dont l’application « extensive et dévoyée » par de nombreux établissements financiers complique la vie des entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] française. Tel était, en tout cas, le constat dressé par les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant dans un rapport dédié au financement de l’industrie de l’armement. Les députés Jean-Louis Thiérot et Françoise Ballet-Blu firent le même, en février dernier.

Et il faudra sans doute faire avec les orientations que la Commission européenne dévoilera le 7 juillet dans le cadre de sa nouvelle « stratégie sur la finance durable », qui, s’appuyant sur un rapport de son Centre commun de recherche [JRC], vise à instaurer des critères « écologiques » pour les produits financiers. En clair, l’idée est d’orienter les capitaux vers des activités qui ne portent pas atteinte à l’environnement. À Bruxelles, on parle de « taxinomie ».

« La taxinomie de l’Union européenne est un outil solide et fondé sur des données scientifiques, qui vise à offrir de la transparence aux entreprises et aux investisseurs. Elle constituera pour les investisseurs une référence commune, qu’ils pourront utiliser pour investir dans des projets et des activités économiques ayant une incidence positive notable sur le climat et l’environnement. Elle imposera en outre à un certain nombre d’entreprises et d’acteurs des marchés financiers des obligations de publication d’informations », explique la Commission de Bruxelles.

Cet « outil » doit permettre de « flêcher » environ 480 milliards d’euros d’investissements additionnels par an vers la transition écologique. Et cela que cette dernière doit bénéficier de 30% des dépenses prévues au titre du plan de relance européen, adopté en juillet 2020 par les chefs d’État et de gouvernement des 27 pays membres.

Selon le rapport du JRC, ce projet de « taxinomie » parle d’exclure les entreprises si la part de leurs activités de production et de vente d’armes conventionnelles et d’équipements militaires « utilisés pour le combat » dépasse les 5% de leur chiffre d’affaires [.pdf].

Depuis la parution de ce document, des débats ont été engagés… Mais, a priori, les lignes n’ont pas bougé s’agissant des industries de défense, malgré la mobilisation des groupements professionnels du secteur. « Ce qui va sortir du projet de taxonomie de la Commission européenne va être extrêmement important : si les activités de défense sont qualifiées de non durables et, donc, d’une certaine façon non propice à des investissements financiers, ce sera une prescription très, très importante à destination de tous les investisseurs », a ainsi récemment prévenu Éric Béranger, le Pdg de MBDA, lors du dernier Paris Air Forum, le mois dernier.

Cette affaire de la « taxinomie » de l’UE survient alors que le contexte international se durcit d’autant plus que la crise provoquée par la pandémie de covid-19 a accéléré les tendances jusqu’alors observées. Lors d’une table ronde organisée à l’occasion des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, la ministre des Armées, Florence Parly, a insisté sur la désinhibition de certaines puissances face au recours à la force, l’exacerbation des rivalités économiques et une tendance au repli sur soi.

« Je pense […] que cette crise révèle pour l’Europe à la fois des fragilités extrardinaires, un niveau de dépendance qui en vient à mettre en péril notre souveraineté – et quand je parle de souveraineté, j’y mets beaucoup de sens compte tenu de la responsabilité que j’occupe – mais aussi des opportunités incroyables parce que je crois, en effet, que la prise de conscience est là », a estimé Mme Parly.

Et, a continué la ministre, « l’Europe a la capacité de passer à la vitesse supérieure »… Mais le veut-elle? Sur ce point, le doute est permis, comme le suggèrent les propos de Mme Parly et ce projet de « taxinomie »

« On a potentiellement de quoi faire mais à une condition : c’est que l’Europe ne s’attaque pas, par le biais de la loi et de la jurisprudence, à des politiques sur lesquelles nous voulons investir en tant qu’européens. Et je pense, par exemple, à la taxinomie. Dire que le nucléaire est mal, c’est se tirer une balle dans le pied. Dire que les activités de défense ne doivent pas être financées par les organisations financières et les banques, au même titre que les activités pornographiques, c’est choquant! », s’est emportée Mme Parly.

« Et donc ça, c’est un combat aussi que nous devons mener au niveau européen », a conclu la ministre. Un de plus, pourrait-on penser. D’autant plus que cette situation est ahurissante quand on sait que, dans le même temps, le Cadre financier pluriannuel de l’Union européenne prévoit d’investir environ 8 milliards d’euros au titre du Fonds européen de Défense [FEDef].

Photo : Projet européen Twister

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