Le consensus politique autour de la Loi de programmation militaire 2019-25 s’est fissuré

Le 28 juin 2018, le Sénat adopta la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 à une très large majorité, seul le groupe « communiste républicain citoyen et écologiste » ayant voté contre [soit 14 voix]. Étant donné que les montants des deux dernières annuités de la trajectoire financière définie par ce texte n’avaient pas été précisés, il était question de procéder à une « actualisation » en 2021. L’objectif était alors de porter le niveau du budget de la mission Défense à 2% du PIB d’ici 2025.

Plus précisément, l’article 7 de la LPM parle « d’actualisations », dont l’une « sera mise en oeuvre avant la fin de l’année 2021 », celle-ci devant avoir « notamment pour objet de consolider la trajectoure financière et l’évolution des effectifs jusqu’en 2025 ». Et d’ajouter : « Ces actualisations permettront de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi, les réalisations et les moyens consacrés » ainsi que « l’amélioration de la préparation opérationnelle » et la « disponibilité technique des équipements ». Et cela afin de fixer des « objectifs annuels dans ces domaines ».

Seulement, les conséquences économiques de la pandémie de covid-19 ont changé la donne, l’objectif des 2% du PIB ayant déjà été atteint compte tenu de la chute [-8%] de ce dernier. Dans ces conditions, le gouvernement a donc décidé de ne pas procéder à l’actualisation de la LPM en 2021, comme il était prévu, mais à des « ajustements ». Lesquels? C’est justement ce qu’auraient voulu savoir les membres de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense…

Quoi qu’il en soit, n’ayant pas l’intention de soumettre au Parlement une loi d’actualisation, le Premier ministre, Jean Castex, a demandé aux députés et aux sénateurs de se prononcer sur une déclaration confirmant les engagements de la LPM 2019-25, une telle démarche n’engageant pas la responsabilité du gouvernement. Ce dernier ayant la majorité à l’Assemblée nationale, ce texte a été largement approuvé [345 voix « pour », 52 voix « contre », 78 députés « Les Républicains » s’étant abstenus].

Mais la musique a été toute autre au Sénat, où la commission des Affaires étrangères et de la Défense a estimé, dans un rapport, à 8,6 milliards d’euros non prévus par la LPM [un chiffre constesté par Florence Parly, la ministre des Armées, ndlr]. Ainsi, et à l’issue d’une discussion « animée », les sénateurs ont rejeté la déclaration gouvernementale, à une large majorité [236 voix « contre », 46 voix « pour »].

Lors de la présentation du rapport en question lors d’une séance de la commission qu’il préside, le sénateur Christian Cambon, avait prévenu, dénonçant le manque de transparence du ministère des Armées.

« Devant l’effort budgétaire demandé à la Nation, il apparaissait logique de renforcer le contrôle parlementaire. Je pense que personne ne s’oppose au principe selon lequel plus il y a de dépenses publiques, plus il y a de contrôle parlementaire. Mais malgré nos demandes réitérées, point de loi d’actualisation à l’horizon. Le ministère des Armées a travaillé sur des ajustements, mais n’y a pas associé le Parlement. C’est un point de gravité que je souhaite souligner ici, avec responsabilité et avec regret, dans la mesure où c’était pour nous une fierté d’avoir voté cette LPM avec un score qui montrait que nous étions aux côtés du président de la République et du Gouvernement sur ce sujet », avait ainsi affirmé M. Cambon.

Et d’ajouter : « Dans cette LPM, nous nous sommes vraiment engagés pour que cet éreintement, dont 20 ans de gouvernements de droite et de gauche sont responsables, s’arrête. Je continue à y croire et je n’exclus pas que le président de la République, fort du message que l’on peut faire passer, réoriente les choses. Mais je dis que rien ne serait pire qu’une LPM qui se termine sans avoir été complètement exécutée. Je préfère un Parlement qui assume les choix ».

Aussi, fit encore valoir M. Cambon, « remplacer l’actualisation législative par une déclaration, suivie d’un débat et d’un vote […], c’est faire l’impasse sur le dépôt d’un projet de loi, sur une étude d’impact, […] sur le débat démocratique et sur une discussion minutieuse, article par article, avec la possibilité de déposer des amendements, notamment si l’on découvre que des ajustements majeurs d’objectifs et de moyens sont apportés à la LPM. Ce que la loi a fait, seule une loi peut le défaire. Surtout, un débat même assorti d’un vote n’a pas de valeur juridique. »

Après le vote du Sénat, on aurait pu penser que les choses n’iraient pas plus loin. Sauf que, dans une tribune publiée par Le Figaro, Mme Parly a remis un pièce dans la machine. « L’attachement à nos armées ne se clame pas seulement le 14 juillet. Il se prouve aussi dans l’Hémicycle », a-t-elle écrit.

« Ces débats à l’Assemblée nationale et au Sénat auraient dû dépasser les clivages politiques, un prérequis indispensable à la défense de la nation. Ils ont cependant le mérite d’avoir tracé des lignes claires, que les partis concernés devront expliquer aux Français », a continué la ministre. « LR, PS, RN, LFI, EELV, PCF se sont abstenus ou ont voté contre une programmation militaire historique et ambitieuse, rendant fierté et puissance à nos militaires. Faut-il en déduire qu’ils auraient voté en faveur de l’inverse? », a-t-elle ensuite demandé.

La « charge » de Mme Parly n’a pas manqué de faire réagir la commission présidée par M. Cambon, laquelle a, à son tour, publié une lettre ouverte signée par des représentants de quatre groupes politiques représentés au Palais du Luxembourg [LR, Socialiste, écologiste et républicain, Les Indépendants, République et Territoires, Union centriste].

Et le ton employé aura été tout aussi cinglant que celui de la tribune publiée par la ministre. Rappelant que la Haute Assemblée a voté, à 96%, la LPM 2019-2025, les signataires ont jugé inaccepable que Mme Parly ait cherché « dénaturer le sens de la démarche des Sénateurs en prétendant qu’ils seraient « hostiles à cette programmation » car « c’est précisément le contraire, et le rôle du Parlement est de veiller à la bonne exécution de cette loi, comme le Président de la République nous l’a encore demandé en janvier à Brest » [lors de ses voeux aux Armées, ndlr].

Aussi, ont-ils estimé, il « est normal et légitime que le Sénat veuille savoir quels sont les choix qui ont été retenus dans le cadre de l’actualisation de la LPM », malgré le « refus de transparence qui s’est manifesté notamment par l’insuffisance des réponses à notre questionnaire ».

« Ce que nous demandions était simple : en partant du principe que l’enveloppe de la LPM restait constante à 295 milliards d’euros sur 7 ans, et au vu de surcoûts ou de besoins nouveaux dont nous ne contestions d’ailleurs pas la légitimité, il était inévitable et nécessaire que des économies soient réalisées sur d’autres postes, que certains programmes soient ralentis », ont rappelé les sénateurs.

Et de poursuivre : « Nous comprenons aujourd’hui que vous êtes arrivée à ce débat en refusant par avance toute idée de dialogue avec le Parlement ». Or, « nous vous proposions le dialogue, vous avez répondu par la polémique. Le Sénat, lui, ne rentrera jamais dans ce jeu néfaste à nos armées et à l’intérêt national. »

Pointant à nouveau la « violence » de ses propos » tenus dans la presse, les sénateurs signataires ont appelé Mme Parly à « défendre les intérêts de nos armées en s’appuyant sur le Parlement, plutôt que de le combattre ».

Selon l’agenda de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, aucune audition de Mme Parly n’est prévue dans les prochaines semaines. Mais la prochaine, qui ne manquera pas d’avoir lieu – sauf remaniement ministériel d’ici là – à l’occasion des débats sur le prochain projet de loi de finances initiale risque d’être… animé.

Photo : ministère des Armées

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