Le Sénat évalue les surcoûts non prévus par la Loi de programmation militaire à plus de 8 milliards d’euros

Promulguée en juillet 2018, la Loi de programmation militaire 2019-25 prévoit de porter le montant du budget du ministère des Armées à 44 milliards d’euros en 2023. Et, selon son article 7, la trajectoire financière pour les deux dernières annuités doit être précisée lors d’une actualisation conduite en 2021 sur la base des conclusions de la Revue stratégique actualisée et en « prenant en compte la situation macroéconomique » ainsi que « l’objectif de porter l’effort national de défense à 2% du produit intérieur brut en 2025 ».

Évidemment, les conséquences économiques de la crise sanitaire vont compliquer l’exercice… alors que la situation internationale et l’évolution des menaces incitent à ne pas remettre en cause la remontée en puissance des forces françaises, amorcée depuis 2018.

Globalement, les trajectoire financière de la LPM a été respectée à l’euro près lors des trois premières annuités. Cependant, dans le détail, le ministère des Armées a dû consentir à des ajustements, en redéployant, par exemple, des crédits pour financer les surcoûts des opérations extérieures [OPEX] et des missions intérieures [MISSINT].

Si la « budgétisation » de ces dernières a été plus sincère que par le passé, il n’en reste pas moins qu’elles ont coûté plus cher que prévu. L’article 4 de la LPM indique que la différence doit être prise en charge par la solidarité interministérielle [chaque ministère contribue en fonction de son « poids budgétaire », ndlr]…

Sauf que le gouvernement en a décidé autrement, le ministère des Armées ayant pris ces surcoûts supplémentaires à sa charge, en ayant notamment recours à des crédits non consommés, en particulier sur le Titre II [dépenses de personnel]. En 2019 et 2020, il lui en aura ainsi coûté 600 millions d’euros au total, selon un rapport que vient de publier la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense [.pdf]. Pour les années 2021, 2022 et 2023, le document estime que 400 millions de plus viendront s’y ajouter.

À ce milliard d’euros relatif aux OPEX/MISSINT, le rapport rappelle que les deux premières annuités de la programmation militaire ont donné lieu à des ajustements annuels de la programmation militaire [A2PM] dont « l’impact […] sur la suite de la LPM jusqu’en 2025 s’établit à 2,1 milliards d’euros en faveur de programmes à effets majeurs [PEM] prioritaires […], l’amélioration de la vie militaire dans le cadre du ‘Plan famille’ [240 millions] et la Marine [800 millions d’euros pour la provision pour les études de la propulsion nucléaire du futur porte-avions de nouvelle génération] ».

« Ces montants ne correspondent pas automatiquement à des dépenses supplémentaires. En revanche ces ajustements entraînent nécessairement la baisse d’autres opérations si l’on raisonne à enveloppe constante », soutient le rapport du Sénat, qui déplore « l’absence de véritable transparence sur les arbitrages défavorables ».

En outre, pour 2021, le document estime que le « périmètre d’ajustement s’établit à 1 milliard d’euros » et que ce montant sera compensé par un « ralentissement consenti du calendrier d’investissements dans d’autres domaines ». Seraient concernés : le système de lutte anti-mines futur [SLAM-F], les futurs bâtiments hydrographiques [CHOF], le système de drones tactiques [SDT Patroller] et le remplacement des poids lourds 4/6 tonnes.

Le total de ces ajustements s’éleverait donc à 3,1 milliards d’euros. Mais ce n’est qu’un montant minimum, étant donné qu’il faut également ajouter d’autres coûts dont les données « n’ont pas été communiquées » ou qui « demeurent estimatives ». Tel est le cas de la cession de Rafale à la Grèce [et à la Croatie], de la crise covid, de la commande anticipée d’une frégate de défense et d’intervention [FDI] et d’autres dépenses imprévues [réparation du SNA Perle, par exemple].

Selon le rapport, les surcoûts constatés et non prévus par la LPM se monteraient, au minumum, à 8,6 milliards d’euros. Ce chiffre comprend aussi des « surcoûts qui n’ont pas trait à des dépenses constatées mais à des dépenses à prévoir pour atteindre les objectifs 2025 de préparation opérationnelle qui s’inscrivent dans l’ambition 2030. » Le rapport les évalue à 1,2 milliard, pour la seule enveloppe dédiée à l’Entretien programmé du matériel [EPM]. Mais, faute de données, il a laissé en blanc les coûts relatifs à la préparation opérationnelle et à la « haute intensité ».

« La Commission a demandé au ministère des Armées le chiffrage du montant de crédits supplémentaires qui permettrait d’une part le respect de la trajectoire de remontée de la préparation opérationnelle à l’horizon 2025, telle que prévue par la LPM, et, d’autre part, l’atteinte de la haute intensité en 2030, telle que prévue par l’actualisation en 2021 de la Revue stratégique de 2017. Ces chiffres n’ont pas été transmis. Il semble que les besoins en la matière doivent être chiffrés en milliards d’euros », lit-on cependant dans le document.

Par ailleurs, ce dernier estime que les certains objectifs fixés pour 2025 risquent de ne pas être atteints. Ce sera le cas de la flotte des Rafale de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE], qui en disposera 117 exemplaires au lieu des 129 prévus, en raison des 12 appareils d’occasion dont il est question de céder à la Croatie en 2024 et 2025.

Au-delà de cet aspect, il se « posera l’équation complexe de la disponibilité opérationnelle d’un parc réduit de 9 %. » Et cette « réduction capacitaire ne trouve à ce stade pas de réponse […] sauf à améliorer l’activité du parc existant et prolonger la durée de vie des Mirage 2000-5, au prix d’un surcoût en EPM et MCO [Maintien en condition opérationnelle] », affirment les sénateurs, qui s’inquiétent égalament du retard dans les livraisons des Véhicules blindés légers [VBL] VBL régénérés et des véhicules destinés aux forces spéciales [PLFS et VLFS].

Enfin, le rapport constate aussi que la situation du Service de santé des armées [SSA] est encore loin de s’améliorer. « Le service dispose de 700 médecins des forces, il lui en manquait une centaine et la
situation s’est aggravée », affirme-t-il. Et d’ajouter : « Le déficit est ainsi passé pour les médecins de premier recours de 97 postes en 2020 à 136 en 2021. Cette évolution est extrêmement préoccupante. Ceci conduit à concentrer sur les mêmes personnels la charge de projection du service. Le taux de projection des équipes médicales de 125 %, malgré l’apport des réservistes, a encore augmenté en 2020. Celui des équipes chirurgicales atteignait 200 % en 2020 et ne diminue que trop lentement. »

Normalement, l’actualisation de la LPM 2019-25 aurait dû passer par la voie parlementaire. Là encore, le gouvernement en a décidé autrement, précisant que les ajustements capacitaires se déclineraient selon trois axes, à savoir « Mieux détecter et contrer », « Mieux se protéger », et Mieux se préparer ».

Ce que déplore Christian Cambon, le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense. « Le Gouvernement nous propose aujourd’hui un débat de quelques heures sur le sujet. C’est très insuffisant, et cela ne peut être que le point de départ pour une discussion plus approfondie avec le Parlement, compte tenu de l’importance des sommes en jeu et du fait qu’il en va de la sécurité des Français », a-t-il affirmé, le 18 juin.

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