Pour son secrétaire général, la proximité entre la Russie et la Chine crée de « nouveaux dangers » pour l’Otan

Par le passé, la Russie et la Chine ont souvent été à couteaux tirés, ce qui a parfois dégénéré en conflit armé, comme en mars 1969, quand des gardes-frontières soviétiques tombèrent dans une embuscade tendue par des soldats de l’Armée populaire de libération [APL], au niveau de l’île Damanski [ou Zhenbao en mandarin]. Après des mois de tensions et de combats, l’affaire se termina par un cessez-le-feu entré en vigueur le 11 septembre de la même année… puis par un traité signé en 1991, après la chute de l’Union soviétique.

Au regard de cet épisode, la Russie devrait-elle encore se méfier des appétits de son voisin chinois? C’est ce que supposent certaines analyses, comme par exemple celle publiée en 2013 par « La Jaune et la Rouge », la revue des anciens élèves de l’École polytechnique. Soulignant le dépeuplement continu de la Sibérie, région par ailleurs riche en matières premières, il y était expliqué que la Russie aurait « du mal à résister à l’expansion chinoise ».

Et de rappeler qu’après la guerre de l’opium, au XIXe siécle, les « Russes profitèrent des difficultés de la Chine pour imposer à Aïgoun puis à Pékin les ‘traités inégaux’ et la frontière de l’Amour- Oussouri. » De quoi alimenter un certain ressentiment à l’égard de Moscou…

Cependant, une telle lecture a été contredite par Chris Miller, un universitaire américain, dans les colonnes de Foreign Policy. « Or rien ne permet d’affirmer qu’un grand nombre d’immigrés chinois serait bel et bien sur le point d’affluer en Russie. Par ailleurs, un tel exode serait quelque peu surprenant, car les salaires sont souvent plus élevés sur le territoire chinois », a-t-il écrit en mars 2019.

Et d’ajouter : « Il en va de même pour l’analyse selon laquelle l’appétit vorace de Chine en matière de ressources naturelles pourrait compliquer sa relation avec sa riche voisine – et l’inviter à grignoter le territoire russe pour garantir son accès aux ressources. Or la Chine peut déjà acquérir les richesses minérales de la Russie à des prix avantageux. En échange, la Russie accède à l’un des marchés les plus importants […] au monde. Pour quelle raison voudraient-ils modifier cet arrangement? »

En outre, si leurs intérêts peuvent être contradictoires, la Russie et la Chine partagent les mêmes priorités, dont la stabilité politique intérieure et la concurrence avec les États-Unis. « Les systèmes politiques russe et chinois se ressemblent de plus en plus; c’est un terreau propice à l’amitié. Et leur compétition commune avec la superpuissance mondiale américaine fait de cette amitié une nécessité », a relevé Chris Miller, avant d’estimer que le rapprochement entre Moscou et Pékin ne pourrait que durer.

Cette proximité entre la Russie et la Chine a des implications diplomatiques et militaires, comme on a pu le voir lors de la participation de l’APL aux manoeuvres géantes russes Vostok 2018, ou encore avec les patrouilles de bombardiers russes et chinois au large du Japon et de la Corée du Sud. Et, le renseignement estonien s’est récemment inquiété d’une possible implication chinoise dans l’exercice Zapad 2021, qui sera organisé par Moscou et Minsk en septembre prochain.

Le rapprochement sino-russe peut avoir des conséquences sur la sécurité européenne, ne serait-ce que par les investissements de Pékin dans les infrastructures de transport du Vieux Continent [dans le cadre des « nouvelles routes de la soie »] ainsi que dans les réseaux de télécommunications. Ce qui explique la raison pour laquelle l’Otan a placé la Chine « en bonne place » sur son agenda.

« La Chine a le deuxième plus grand budget de défense au monde. Elle investit massivement dans de nouveaux systèmes d’armes à longue portée et de nouveaux systèmes de missiles pouvant atteindre tous les pays de l’Otan. Elle modernise ses capacités maritimes en étendant la portée de ses forces navales. Au cours des cinq dernières années, elle a ajouté 80 navires et sous-marins supplémentaires à sa marine. Cela équivaut au nombre total de navires et de sous-marins de la marine britannique », fit valoir Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, en juin 2020.

Mais, dans un entretien donné au quotidien italien La Repubblica, M. Stoltenberg est allé encore plus loin, estimant que la proximité sino-russe est une source potentielle de « nouveaux dangers » pour l’Otan.

« L’ordre fondé sur les règles, la base du multilatéralisme, est menacé. La Russie et la Chine entretiennent depuis quelque temps une collaboration de plus en plus intense, tant au niveau politique que militaire. Il s’agit d’une nouvelle dimension et d’une série de défis pour l’Otan. Il en découle de nouveaux dangers », a en effet affirmé l’ancien Premier ministre norvégien.

« Moscou et Pékin coordonnent de plus en plus souvent leurs positions respectives dans les décisions prises au sein des organisations multilatérales comme l’ONU. En outre, elles réalisent des exercices militaires conjoints, expérimentent ensemble des vols de longue distance avec des avions de combat et [conduisent] des opérations maritimes, mais elles procèdent aussi à un intense échange d’expériences sur les systèmes d’armement et le contrôle d’internet », a encore relevé M. Stoltenberg.

Aussi, pour ce dernier, l’Otan doit « s’adapter » afin de répondre à « l’ascension de la Chine en tant que puissance militaire » et à « l’agressivité croissante de la Russie ».

Pour autant, il ne s’agit pas de considérer la Chine « comme un ennemi », a dit le secrétaire général de l’Otan. Cependant, et comme il l’avait précédemment affirmé à l’issue d’un entretien avec le président américain Joe Biden, à Washington avec, elle « ne partage pas nos valeurs » car elle « ne croit pas dans la démocratie, dans la liberté d’expression ni dans la liberté des moyens d’information. »

« La Chine est très active en Afrique, dans les Balkans de l’Ouest et dans l’Arctique. Elle engage des investissements massifs dans les infrastructures clés en Europe. Dans le cyberespace, elle est une référence. Tout cela a un énorme impact sur notre sécurité », a ensuite développé M. Stoltenberg.

D’ores et déjà, l’Otan a entrepris de « cartographier » les investissements chinois en Europe, afin de voir dans quelle mesure où ils pourraient entraver ses capacités à déplacer rapidement des troupes en cas de nécessité. « Cet examen concerne les ports, les aéroports, les liaisons et les télécommunications à travers la zone euro-atlantique », avait en effet confié un responsable de l’Alliance, en mars dernier.

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