Plusieurs signaux suggèrent que le Rafale est en bonne position pour s’imposer en Suisse

Quel sera l’avion de combat qui remportera l’appel d’offres « Air 2030 », lancé par la Suisse afin de remplacer les F/A-18 Hornet actuellement en service au sein de sa force aérienne?

On sait que l’appareil qui sera choisi devra être « à usage multiple », c’est à dire capable d’effectuer des missions de défense aérienne [en priorité], d’appui aux troupes au sol et de reconnaissance. Le coût de la commande envisagée a été évalué à 6 milliards de francs suisses pour 30 à 40 avions.

Initialement, cinq candidats étaient sur le ligne de départ. Vainqueur d’un précédent appel d’offres pour remplacer les F-5 Tiger II de la force aérienne suisse, le Gripen E/F du constructeur suédois Saab a finalement été écarté de la compétition. Restent donc en lice le Rafale de Dassault Aviation, l’Eurofighter, dont la candidature est soutenue par l’Allemagne, le F-35A de Lockheed-Martin et le F/A-18 Super Hornet de Boeing.

Cela étant, les chances des deux avions américains seraient limitées. C’est, en tout cas, ce qu’affirme le quotidien Le Matin. « Personne ne croit plus vraiment à Berne aux chances » du F-35A et du F/A-18 Super Hornet, écrit-il, ce 7 juin. Et cela, pour plusieurs raisons.

La première est que le choix en faveur de l’un ou l’autre pourrait donner lieu à une nouvelle « initiative populaire » lancée par le Groupe pour une Suisse sans armée [GSsA], les Verts et le Parti socialiste suisse. En clair, l’achat d’un appareil américain devrait être approuvé par une votation. Ce qui est potentiellement risqué, quand on sait que l’acquisition de nouveaux avions de combat n’a été approuvée qu’à une très courte majorité [50,1%] en septembre 2020… et que la consultation organisée en mai 2014 sur l’achat des Gripen s’est soldée par la victoire du « non ».

« Nous respectons la décision du peuple, il y aura des avions. Mais nous représentons potentiellement 49,9% des électeurs. En tant que citoyens, nous avons le droit de réclamer de pouvoir nous prononcer sur un éventuel choix du Conseil fédéral, s’il devait être le pire », a justifié Pierre-Alain Fridez, un conseiller national membre du PS.

Les partisans de cette initiative populaire font valoir que le F-35 et le F/A-18 Super Hornet sont « trop grands, trop chers et trop fragiles pour servir dans le cadre des missions de police du ciel », comme l’a fait l’élu écologiste Fabien Fivaz, dans les colonnes de la Tribune de Genève. Et la question de l’accès aux données générées par les appareils a également été mise dans la balance.

Un point sensible en Suisse qui, rappelle Berne, « en tant qu’État neutre, doit être en mesure de se défendre en s’en remettant à ses propres moyens ». Et la ministre française des Armées, Florence Parly, n’a pas manqué de l’évoquer en mars, lors d’une rencontre avec Viola Amherd, son homologue suisse. « Je sais la Suisse très attachée au principe de souveraineté, en particulier des données », avait-elle dit. Le Rafale a été conçu comme un « instrument de souveraineté » et est proposé à Berne « comme tel », avait-elle continué. Et d’insister : « La France s’engage à respecter la propriété souveraine des données. […] Il n’y aura pas de boîte noire ».

Toutefois, responsable des ventes d’armes au département d’État, Laura Cressey a assuré, le 1er avril, que « ni le gouvernement américain ni les constructeurs n’auront de boîte noire à l’intérieur » des appareils proposés à la Suisse. « Nous ne pouvons pas surveiller à distance les avions que nous vendons. Au cours des discussions, un partage de certaines données sur la performance des avions a été évoqué et la Suisse aura la possibilité de décider si elle veut les partager ou pas avec les constructeurs américains », a-t-elle expliqué.

Reste que la mission première des avions destinés à la force aérienne suisse sera la police du ciel, l’appui des troupes terrestres et les frappes au sol étant secondaires. « La probabilité d’une attaque armée contre la Suisse étant actuellement faible, il s’agit avant tout d’établir une capacité limitée [acquisition d’une petite quantité de munitions air-sol et de nacelles munies de moyens de reconnaissance] et non de développer entièrement cette capacité [y compris stockage de grandes quantités de munitions] », explique le Département fédéral de la Défense, de la protection de la population et des sports [DDPS].

Dans ces conditions, le F-35A n’est pas forcément l’appareil le mieux adapté… D’autant plus qu’il n’a pas été épargné par les critiques ces derniers temps, notamment aux États-Unis. Quant aux F/A-18 Super Hornet, le prix auquel ils sont proposés – selon un avis de la Defense Security Cooperation Agency [DSCA, l’agence chargée des exportations militaires américaines, ndlr], est supérieur de 900 millions de francs suisses par rapport à l’enveloppe prévue par le programme Air 2030.

D’où l’affirmation du quotidien Le Matin, qui estime que, si l’on ajoute « d’autres raisons stratégiques », l’appel d’offre devrait « donc se jouer avec une solution européenne », d’autant plus qu’une telle commande « permettrait de mettre également un peu de baume dans le contexte actuel des relations entre la Suisse et l’UE ». Le 26 mai, en effet, Berne a mis un terme aux négociations pour un accord-cadre avec l’Union européenne, après sept ans de discussions.

Mais le journal suisse se risque à un pronostic, en affirmant que le Rafale est « de plus en plus favori » à Berne. Du moins, quelques indices le suggèrent…

Comme la signature du contrat relatif à l’acquisiton, auprès de Thales, du système de surveillance aérienne « SkyView », qui suggère une « cohérence entre un système de surveillance d’origine français et des avions français », même si le choix de l’un n’implique pas forcément celui de l’autre. Ou encore comme la question posée à la cheffe du DDPS par la conseillère nationale Priska Seiler Graf, qui est aussi membre de la Commission de politique de sécurité, au sujet des « actions offensives dans la profondeur de l’espace adverse ». Le seule avion qu’elle a cité a été le… Rafale.

Cependant, d’autres éléments plaident en faveur de l’avion de Dassault Aviation, qui, en outre, évoluera dans les années à venir [avec le standard F4]. En effet, un rapport du Sénat concernant un accord sur la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire entre la France et la Suisse avait mis en avant les échanges d’officiers pilotes français et suisses « en particulier dans le cadre des formations sur PC-21 » [avion pour la formation des pilotes de chasse, ndlr].

En outre, il avait également insisté sur le « grand nombre d’exercices conjoints visant à renforcer notre interopérabilité pour assurer la continuité de la défense commune de notre espace aérien ». Et de conclure : « La coopération, déjà dense, entre nos armées de l’air pourrait se renforcer à la faveur du programme Air2030. Le nouveau cadre juridique facilitera l’interopérabilité de nos moyens, qui sera d’autant plus efficace si nous disposons d’outils similaires. »

Ces « indices » seront-ils confirmés? La réponse sera probablement connue le 23 juin prochain.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]