Aviation de combat : Deux rapports de la Défense allemande dénoncent la mainmise française sur le SCAF

Quand, en juillet 2017, le programme SCAF [Système de combat aérien du futur] fut lancé, il avait été convenu que la France en assurerait la direction, tandis que l’Allemagne prendrait celle du MGCS [Main Ground Combat System – char de combat du futur, ndlr]. Et dans un cas comme dans l’autre, le principe du « meilleur athlète » devait prévaloir.

Pour rappel, le SCAF est un « système de systèmes » reposant sur un chasseur-bombardier de 6e génération – le NGF, pour New Generation Fighter – destiné à remplacer les avions de combat Rafale et Eurofighter à l’horizon 2040.

L’arrivée de Madrid dans ce projet a compliqué la donne. Désigné pour être le maître d’oeuvre du NGF, Dassault Aviation doit composer avec Airbus, qui défend les intérêts de l’Allemagne et de l’Espagne. Même chose pour les moteurs, Safran devant travailler avec l’allemand MTU Aero Engines et l’espagne ITP Aero [filiale de Rolls Royce, ndlr], déjà partenaires dans le programme Eurofighter.

D’où les difficultés de ces derniers mois, les industriels ayant peiné à se mettre d’accord avant le lancement de la phase 1B du projet, laquelle ouvre la voie à la mise au point d’un démonstrateur.

Qui plus est, l’Allemagne a remis en cause le partage des tâches tel qu’il avait été envisagé. « Vous savez que c’est un projet sous leadership français mais il fait quand même que les partenaires allemands puissent être à un niveau satisfaisant face à leurs homologues [français]. Nous devons donc voir très précisément les questions de propriété industrielle, de partage des tâches et de partage de leadership », lança en effet Angela Merkel, la chancelière allemande, à l’issue d’un conseil franco-allemand de défense, le 5 février dernier.

Sur ce point, Mme Merkel ne faisait que rapporter les réserves du Bundestag concernant la défense des intérêts de l’industrie allemande dans ce projet. Déjà, en février 2020, les députés d’outre-Rhin s’étaient fait tirer l’oreille pour voter le lancement la phase 1A du SCAF.

Finalement, et après la menace à peine voilée de Dassault Aviation de mettre en oeuvre un « plan B » s’il ne diposait pas de tous les leviers qu’il estimait nécessaires pour tenir son rôle de maître d’oeuvre pour le NGF tout en préservant sa propriété intellectuelle, les industriels ont fini par s’entendre. Et ils ont ensuite remis une proposition aux trois pays concernés.

Le 17 mai, ces derniers ont annoncé la « finalisation des discussions portant sur le contenu de la prochaine phase du programme ». Ce qui, selon des sources industrielles citées par Challenges, était sans doute prématuré. « Il n’y a aucun accord sur le budget, ni sur la propriété intellectuelle », a dit l’une d’elles. C’est une « posture de communication » et un « communiqué mensonger », a dénoncé une autre…

Quoi qu’il en soit, cet accord sur la phase 1B doit encore être validé par le comité des Finances du Bundestag, idéalement d’ici la fin juin, c’est à dire avant la fin de la session parlementaire et le début de la campagne pour les éléctions fédérales allemandes de septembre prochain.

En attendant, l’influent hebdomadaire Der Spiegel a eu accès à deux documents confidentiels très critiques sur le SCAF. Le premier, rédigé par des experts de l’Office fédéral des équipements, des technologies de l’information et du soutien en service de la Bundeswehr [BAAINBw], estime que l’accord relatif à la phase 1B « doit être renégocié d’un point technique et économique » car, « dans sa forme actuelle », il n’est « pas prêt à être signé ».

Selon Der Spiegel, le BAAINBw estime qu’il existe un « risque important que les technologies critiques ne soient pas rendues suffisamment matures à temps » et que les « délais ne puissent pas être respectés ».

En outre, le rapport avance que les « approches technologiques innovantes » sont « difficilement identifiables », ce qui signifie qu’il y a également un risque que des « technologies essentielles ne soient pas du tout envisagées ou qu’elles le soient dans des phases ultérieures sans être financièrement viables ».

Enfin, les experts du BAAINBw font valoir que les « structures et les règles » ne vont pas dans le sens des « intérêts allemands » et qu’elles « satisfont presque exclusivement les positions françaises ». Et d’insister : « La domination française est très ancrée dans le programme ».

L’autre rapport évoqué par Der Spiegel et remis la semaine passée, vient du ministère allemand de la Défense. Et il arrive quasiment à la même conclusion que celui du BAAINBw, en affirmant qu’un « positionnement français fort » signifierait que l’objectif de « développer un avion de chasse de sixième génération serait manqué » et que le programme SCAF se résumerait à une « approche Rafale Plus avec des fonds budgétaires allemands et espagnols. »

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