Mali : La Russie va-t-elle profiter du dernier coup de force du colonel Goïta, désormais président par intérim?

Après avoir renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta [IBK], en août 2020, le « Comité national pour le salut du peuple » [CNSP], animé par des officiers supérieurs des Forces armées maliennes [FAMa] firent adopter une « charte de la transition », avec l’objectif d’arriver à une normalisation politique dans les dix-huit mois à venir. Et cela, sous la pression internationale, à commencer par celle de la Communauté économique des États d’Afrique occidentale [CEDEAO].

Ancien officier ayant occupé les fonctions de ministre de la Défense, Bah N’Daw fut alors nommé président par intérim, avec le colonel Assimi Goïta, le chef des putschistes, pour vice-président.

Quant au gouvernement, sa direction fut confiée à Moctar Ouane, les ministères de la Défense, de la Sécurité, de la Réconciliation nationale et de l’Administration territorial revenant à des membres du CNSP. Enfin, pour remplacer l’Assemblée nationale et dans l’attente de nouvelles élections législatives, un « Conseil national de transition » fut installé, sous la présidence du colonel Malick Diaw, un autre acteur du coup d’État de l’été 2020.

Telle était donc la situation jusqu’au coup de théâtre du 24 mai. Ce jour-là, le président N’Daw, le Premier ministre et le général Souleymane Doucouré, alors appelé à prendre la tête du ministère de la Défense, ont été arrêtés et emmenés au camp militaire de Kati. La raison? Ils n’avaient préalablement pas consulté le colonel Goïta pour remanier le gouvernement… Ce que l’intéressé n’a visiblement pas digéré, d’autant plus que les officiers issus du CNSP ne devaient pas tous être reconduits dans leurs fonctions.

Tel était en effet le cas des colonels Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement ministres de la Défense et de la Sécurité. D’après Étienne Fakaba Sissoko, directeur du Centre de recherche d’analyses politiques, économiques et sociales du Mali, l’éviction du premier à l’occasion de ce remaniement s’expliquerait « en grande partie par sa proximité avec la Russie. »

« Quand vous prenez le colonel Sadio Camara, on lui reprocherait d’être très proche aujourd’hui de la Russie au détriment des autres partenaires comme la France. C’est une des raisons également qui justifierait son éviction parce qu’il s’apprêtait à signer des conventions, et pas des moindres, avec la Russie. On se rend compte effectivement qu’il y a des enjeux géopolitiques et géostratégiques. Il y a des puissances internationales également qui sont à la manœuvre et qui, aujourd’hui, jouent des intérêts gros au Mali », a ainsi expliqué M. Sissoko à la Deutsche Welle.

Engagée militairement au Mali avec l’opération Barkhane, la France n’a pas réagi immédiatement aux derniers développements à Bamako. Il aura fallu attendre le lendemain pour voir le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, « condamner avec la plus grande fermeté ce coup de force », « exiger la libération des autorités et la reprise immédiate du cours normal de la transition. »

« Le caractère civil de la transition est une condition sine qua non de la crédibilité du processus de transition et du soutien que les partenaires internationaux peuvent apporter aux autorités maliennes. […] Si d’aventure il n’y avait pas un retour à l’ordre de la transition, nous prendrions des mesures immédiates de ciblage contre les responsables militaires et politiques qui entravent la transition », a averti le chef de la diplomatie française, à la tribune de l’Assemblée nationale.

« Ce qui a été conduit par les militaires putschistes est un coup d’État dans le coup d’État inacceptable, qui appelle notre condamnation immédiate », a ensuite déclaré le président Macron.

Depuis, Bah N’Daw et Moctar Ouane ont fini par être libérés… après avoir annoncé leur démission. Et le colonel Assimi Goïta est parvenu à ses fins. En effet, dans un arrêt publié le 28 mai, et après avoir constaté la « vacance de la présidence », la Cour constitutionnelle malienne a décidé qu’il aura désormais à exercer « les fonctions, attributs et prérogatives de président de la transition pour conduire le processus de transition à son terme ».

« En raison de la vacance de la présidence de la transition, il y a lieu de dire que le vice-président de la transition assume les prérogatives, attributs et fonctions de président de la transition, chef de l’État », explique la Cour constitutionnelle.

La situation au Mali sera évoquée lors d’un sommet extraordinaire qui, convoqué le 30 mai, doit réunir les chefs d’État de l’Afrique de l’Ouest. D’éventuelles sanctions contre Bamako devraient être envisagées. Reste à voir ce que fera la France, qui se trouve dans une position inconfortable : peut-elle sanctionner le colonel Goïta, désormais président par intérim, alors que ses forces sont déployées dans le pays de ce dernier?

En attendant, la Russie pourrait bien profiter de cette situation, le colonel Goïtan passant pour être proche de Moscou, d’après Étienne Fakaba Sissoko. En tout cas, les autorités russes lorgnent sur le Mali depuis un moment… Et la Turquie n’est pas désintéressée non plus. En témoignent les campagnes de désinformation qui visent la force Barkhane via les réseaux sociaux.

« Il ne faut pas être naïf sur ce sujet : beaucoup de ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présents dans les médias francophones sont stipendiés par la Russie ou la Turquie », avait dénoncé le président Macron, au sujet de cette « guerre informationnelle » au Mali.

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