Pêche/Brexit : Tensions franco-britanniques autour de Jersey, où des patrouilleurs ont été déployés

Comme le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne [UE], de nouvelles conditions vont désormais s’imposer aux navires de pêche – en particulier français – qui avaient l’habitude de naviguer dans les eaux entourant l’île anglo-normande de Jersey, dépendance de la couronne britannique.

Toutefois, le « Trade cooperation agreement », c’est à dire l’accord conclu entre l’UE et Londres, en décembre dernier, prévoit une période de transition devant se terminer en 2026. À cett échéance, les pêcheurs européens devront renoncer à 25% de leurs captures dans les eaux britanniques. Mais pour le moment, ces derniers concervent un accès garanti aux zones situées entre 6 et 12 nautiques des côtes du Royaume-Uni, à la condition qu’ils soient en mesure de démontrer qu’ils pêchaient dans ces eaux durant les années 2012-2016.

Ainsi, côté français, 344 demandes de licence ont été adressées aux autorités britanniques pour pêcher dans les eaux de Jersey. Et, à ce jour, seulement 41 ont été acceptées… mais avec de nouvelles exigences qui, selon Paris, n’avaient jusqu’alors jamais fait l’objet d’une quelconque concertation.

Ce que conteste le gouvernement de Jersey, qui assure avoir octroyé ces licences « conformément à l’accord commercial » conclu par Londres et l’UE. En outre, ce dernier met en avant la difficulté à disposer de données fiables concernant l’activité des pêcheurs français dans ses eaux.

« Les pêcheurs devaient envoyer les données prouvant leur activité dans les eaux de l’île à leurs comités régionaux, qui envoyaient ça à Paris, qui envoyait ça à Bruxelles, qui envoyait ça à Londres, qui nous l’envoyait à nous. Et nous, nous avons reçu des données très, très disparates, de très mauvaise qualité, que nous avons essayé d’exploiter au maximum de nos possibilités », a expliqué Gregory Guida, ministre du gouvernement local de Jersey.

Le 4 mai, la ministre française de la Mer, Annick Girardin, a mis le feu aux poudres en évoquant des « mesures de rétorsion » si jamais les autorités britanniques persistaient à imposer des restrictions d’accès aux pêcheurs français. « Je rappelle par exemple le transport de l’électricité par câbles sous-marins [depuis la France vers Jersey, ndlr] », a-t-elle lancé à l’Assemblée nationale.

À Londres, on a fort peu goûté ces menaces, qualifiées « d’inacceptables » et de « disproportionnées ». Et, alors que les pêcheurs français venaient de menacer de bloquer les ports de l’île anglo-normande, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a décidé de mobiliser la Royal Navy, qui a envoyé les patrouilleurs HMS Severn et HMS Tamar dans la zone. Il s’agit d’une « d’une mesure strictement préventive, en accord avec le gouvernement de Jersey », a précisé un porte-parole du ministère britannique de la Défense [MoD].

Cela étant, la décision de M. Johnson coïncide avec les élections législatives écossaises… Et, en cas de victoire du SNP, le parti indépendantiste écossais [par ailleurs pro-UE], un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse pourrait avoir lieu.

Quoi qu’il en soit, le déploiement des deux navires [faiblement armés] de la Royal Navy a enflammé une partie de la presse britannique, qui n’a pas lésiné sur les superlatifs et les parallèles douteux avec la bataille de Trafalgar. Car, dans le même temps, la France a également décidé l’envoi des patrouilleurs Thémis [de la direction des affaires maritimes] et Athos [de la gendarmerie maritime] dans la zone, où devaient alors converger, ce 6 mai, une soixantaine de bateaux de pêche français, déterminés à bloquer le port de Saint-Hélier, la capitale de Jersey.

En effet, la veille, Dimitri Rogoff, le président du comité régional des pêches de Normandie, avait expliqué que l’objectif était de « marquer le coup » en bloquant temporairement les ports de Jersey. « Il n’est pas question de passer à l’assaut. […] Le but du jeu, c’est de se montrer, de faire voir que les pêcheurs sont déterminés, d’appuyer ce qui a été réclamé et puis les propos de la ministre aussi, des propos assez virulents quand même », avait-il ainsi confié à l’AFP.

Les patrouilleurs Themis et Athos [seul le second est armée d’un canon de 20 mm], « restent dans les eaux françaises pour assurer la sauvegarde de la vie humaine en mer et être prêts à intervenir si cela venait à dégénérer, si, par exemple, on avait un homme à la mer, on a des moyens sur zone qui peuvent être en mesure d’intervenir rapidement », a expliqué la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord.

Les « manoeuvres » britanniques au large de Jersey « ne doivent pas nous impressionner », a déclaré, ce 6 mai, Clément Beaune, le secrétaire d’État français aux Affaires européennes, auprès de l’AFP. « Je me suis entretenu avec David Frost, le ministre britannique chargé des Relations avec l’Union européenne. Notre volonté n’est pas d’entretenir des tensions mais d’avoir une application rapide et complète de l’accord. Rien que l’accord et tout l’accord », a-t-il ensuite expliqué.

Le « blocus » du port de Saint-Hélier par les pêcheurs français a empêché le cargo Commodore Goodwill d’appareiller. Et un léger incident avec un navire de pêche britannique a été signalé.

Sur les ondes de France Inter, ce 6 mai, Gregory Guida a déploré la situation. « C’est vraiment triste qu’on en soit arrivé là », a-t-il dit. « On est passé par une énorme bureaucratie alors que, dans la pratique, on se connaît tous. On s’appelle par nos prénoms », a-t-il également affirmé. Aussi, a-t-il concédé, « nous sommes prêts à discuter directement avec les pêcheurs. Ils ont tous notre numéro. »

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