Aviation de combat : Quand le fondateur de Topgun « descend » le F-35

Ces derniers mois, malgré plus de 600 exemplaires livrés, l’avion de combat de 5e génération F-35, développé par Lockheed-Martin, suscite des doutes, quand il ne prête pas le flanc à de sévères critiques.

Ainsi, en février, le chef d’état-major de l’US Air Force, le général Charles Q. Brown, a laissé entendre qu’une baisse d’une nombre d’appareils commandés était dans les tuyaux, au profit d’une accélération du programme NGAD [Next Generation Air Dominance], dont un démonstrateur a déjà volé, et le lancement d’un nouveau chasseurs-bombardier de génération 4,5 qui remplacerait le F-16.

Plus tôt, l’ex-sécrétaire à l’Air Force chargé des acquisitions et de la technologie, Will Roper, avait estimé que « les coûts exorbitants du cycle de vie du F-35 signifient que l’US Air Force ne peut pas se permettre d’acheter autant d’avions dont elle a besoin pour combattre et gagner une guerre aujourd’hui. »

Une position partagée par le président du comité des services armés à la Chambre des représentants, le démocrate Adam Smith, qui l’a exprimée d’une manière plus abrupte. « Que nous apporte le F-35? Y a-t-il un moyen de réduire nos pertes? Y a-t-il un moyen de ne pas continuer à dépenser autant d’argent pour une capacité aussi faible? Parce que les coûts de soutien sont énormes », a-t-il déclaré, en mars dernier.

Issu du programme Joint Strike Fighter [JSF], dont l’origine remonte aux années 1992/1993, le F-35 n’est toujours pas pleinement opérationnel au sein des forces américaines. Selon un rapport du Pentagone, il présente encore quelque 800 défauts, dont une dizaine jugés critiques. Quant aux coûts de développements, ils ne cessent d’augmenter : la mise au point de la version Block 4, qui donnera à cet avion l’ensemble des capacités pour lesquelles il a été conçu, coûtera 1,9 milliards de dollars de plus, pour atteindre les 14,4 milliards. Plus récemment, le développement du système de maitenance et de logistique ODIN, appelé à remplacer l’ALIS, qui ne fonctionnait pas, a été mis « en pause » après une envolée des coûts.

Quoi qu’il en soit, les critiques les plus sévères ont été faites par le capitaine de vaisseau Dan Pedersen, qui fut l’un des créateurs de l’US Navy Fighter Weapons School, c’est à dire de « Topgun », l’école des pilotes de chasse de l’aéronavale américaine popularisée par le film du même nom réalisé par Tony Scott. Autant dire que, en matière de combat aérien, il est une « pointure ».

En 2019, pour les cinquante ans de Topgun, Dan Pedersen a raconté la genèse de cette école de l’US Navy à Miramar dans un livre qui a récemment été publié en France [« TOP GUN – La véritable histoire« ]. Plein d’anecdotes inédites, cet ouvrage a été salué par l’amiral James Stavridis, qui fut le commandant suprême allié des force alliées en Europe [SACEUR] entre 2009 et 2013. Cela veut-il dire qu’il apporte sa caution au regard sans concession que porte son auteur sur le F-35?

Car, dans le dernier chapite de son livre, et fort de son expérience dans l’aéronavale américaine, Dan Pedersen « descend » le concept du F-35 comme il aurait fait avec un MiG-21 nord-vietnamien. Tout d’abord, il ne cache pas qu’il a une dent contre Dick Cheney, chef du Pentagone entre 1989 et 1993, pour avoir décidé l’arrêt de la production du F-14 Tomcat afin de trouver des crédits pour financer le programme de bombardier furtif A-12 Avenger II [qui ne verra jamais le jour et dont l’affaire inspira le romancier Stephen Coonts, également ancien pilote, pour son livre « Le minotaure »].

« Lorsque le couperet du Pentagone est tombé, nous avons tristement observé le nouveau et l’onéreux balayer l’abordable et le fiable », écrit Dan Pedersen. La furtivité des avions de combat était alors la priorité, d’où le programme A-12 Avenger II.

« Nous vendions notre âme pour la furtivité. La mentalité du Pentagone était que si nous ne trouvions pas une solution au sujet de la furtivité, c’est à l’US Air Force que reviendraient les missions de frappe. Je persistais à dire que, quelque part, dans quelque obscur sous-sol d’Europe de l’Est, un groupe d’individus portant des lunettes aussi épaisses que des bouteilles de Coca étudiaient comment vaincre la furtivité. L’avion avait un tas de problème. Renoncer à ce projet a sauvé la marine elle-même », a raconté Lonny McClung, un ancien commandant de Topgun, cité par Dan Pedersen.

Pour ce dernier, « l’évolution vers la technologie de pointe nous a fait reculer de bien des manières ». Et d’insister, pointant la « fascination du Pentagone pour la furtivité » : « Nous avons oublié les leçons que nous avions chèrement apprises dans les années 1960. Nous nous prosternons devant l’autel de la haute technologie et sommes sur le point de vendre notre âme. La furtivité est comme un zombie, un zombie très onéreux. Elle revient à la vie pour nous hanter. »

Et elle est donc revenue avec le F-35, qui fait fi des leçons que le Pentagone aurait dû tirer avec le F-111, « l’Edsel volant de Robert McNamara [secrétaire à la Défense entre 1961 et 1968, ndlr] qui était supposé servir à la fois à l’US Air Force et à la marine. » Soit le même concept que le programme JSF… mais avec trois versions [s’y ajoute celle dite STOVL pour l’US Marine Corps].

Soulignant les coûts très élevés du programme F-35 [mille milliards de dollars sur sa durée, ndlr], Dan Pedersen estime que les « entreprises qui travaillent pour la défense ont réussi leur coup en assurent leurs marges bénéficiaires avec leurs ‘éléments remplaçables’ comme ils nomment aujourd’hui les pièces détachées. Au final, sur toute la durée du programme, les pièces coûteront plus cher que l’appareil lui-même ». Un peu comme les imprimantes à jet d’encre peu coûteuses à l’achat mais dont les cartouches sont onéreuses.

« Le F-35 est si cher que l’on finira peut-être avec une flotte pleine de magnifiques porte-avions à propulsion nucléaire flambant neufs mais aux ponts d’envol partiellement vide », craint Dan Pedersen, qui met en cause les performances de l’avion de Lockheed-Martin. « Les pilotes qui ont perdu confiance dans le F-35 l’ont surnommé le ‘pingouin' » car « il vole de la même façon ».

Reste que pour le co-fondateur de Topgun, le problème se situe à Washington. Et plus particulièrement au Congrès. « Les juteux contrats de sous-traitance autour du F-35 s’étendent stratégiquement à pratiquement toutes les circonscriptions des États-Unis. Avec de si nombreux membres de la Chambre des représentants ayant un intérêt dans le programme, ce dernier est assuré de bénéficier d’un large soutien politique indépendamment de ses capacités réelles ou de son coût. »

Quoi qu’il en soit, pour Dan Pedersen, le programme F-35 peut mettre en péril la supériorité aérienne des États-Unis. Le discours de Lockheed-Martin présente cet avion « comme un appareil d’alerte avancée transformationnel. Mais il ne dit rien sur ce qui est de remporter un combat aérien. C’est peut-être là que le bât blesse, car les pilotes qui affichent beaucoup d’expérience aux commandes du ‘pingouin’ disent que ce n’est pas un chasseur. » En outre, compte-tenu de son coût d’exploitation, les pilotes « ne sont pas près d’effectuer les heures de vol dont ils ont besoin pour devenir bons », écrit-il. « Ces dernières années, le pilotes de Super Hornet n’ont volé que dix à douze heures par mois entre les déploiements, soit tout juste assez pour apprendre à piloter l’appareil correctement », poursuit-il.

Tirer à boulets rouges sur le F-35 est une chose. Mais que propose Dan Pedersen à la place? « Confiez-moi quelques centaines d’avions comme le F-5N, avec un canon fiable, un système de visée assisté par ordinateur, quatre [missiles air-air] Sidewinder, des moyens de contre-mesures électroniques, et des pilotes effectuant 40 ou 50 heures de vol par mois, et nous battrons n’importe quelle force aérienne qui ruine son pays en investissant dans des ‘pingouins’ furtifs de cinquième génération », assure-t-il.

Selon lui, « la vérité première d’un combat aérien reste la même : ce n’est pas l’avion qui remporte le combat, mais l’homme qui est aux commandes » et « voler est une compétence qu’il faut entretenir. »

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