Washington admet ne pas avoir de preuves sur des primes russes versées aux talibans pour tuer des soldats américains

En juin 2020, se fiant à des « confidences » d’un « responsable » anonyme du renseignement américain, le New York Times affirma que la Russie avait « secrètement versé des primes aux combattants talibans ou à des éléments criminels qui leur étaient étroitement associés » pour avoir tué des soldats américains en Afghanistan.

« Les responsables n’ont pas décrit les mécanismes de l’opération russe, notamment sur la façon dont les cibles ont été choisies ou comment l’argent a changé de mains. On ne sait pas non plus si des agents russes ont été envoyés en Afghanistan ou s’ils ont rencontré leurs homologues talibans ailleurs », avait cependant avancé le quotidien américain.

Jusqu’alors, la Russie était accusée d’avoir ouvert des « canaux de communication » avec le mouvement taleb afghan, dont les intérêts « coïncidaient objectivement » avec les siens, comme le soutint en 2015 Zamir Kabulov, un responsable de la diplomatie russe. L’enjeu était pour Moscou de contrer l’émergence de la branche afghano-pakistanaise de l’État islamique près de sa zone d’influence.

Mais cette relation alla apparemment au-delà d’un simple échange d’informations. En 2018, le commandant de la mission de l’Otan « Resolute Support » accusa la Russie de livrer des armes et des équipements militaires aux talibans, via le Tadjikistan, à l’occasion d’exercices militaires. « Ils [les Russes] apportent beaucoup de matériel et ils en laissent derrière eux. Cette activité [les livraisons d’armes] a pris de l’ampleur au cours des 18/24 derniers mois. […] Avant cela, nous n’avions pas vu ce genre d’activité déstabilisatrice de la part de la Russie ici, mais il est intéressant de noter le moment où tout cela s’est produit », avait-il affirmé.

Aussi, dans ce contexte, les affirmations du New York Times au sujet de ces primes versées au taliban n’en étaient que plus crédibles. Et elles donnèrent à Joe Biden, alors candidat à la Maison Blanche, des « munitions » pour attaquer le président Trump, en critiquant son « inaction » dans cette affaire présumée. « Toute sa présidence a été un cadeau pour Poutine », avait-il lancé à l’adresse de celui qui deviendra son prédecesseur. Et d’ajouter : « C’est une trahison du devoir le plus sacré que nous avons de protéger nos troupes […]. C’est une trahison de chaque famille américaine qui a un être cher servant en Afghanistan ou ailleurs à l’étranger ».

« Lorsque votre enfant se porte volontaire pour servir, il met sa vie en danger pour le pays. Il prend des risques pour cette nation, mais il ne devrait jamais, jamais, jamais faire face à une menace comme celle-ci, avec leur commandant en chef fermant les yeux sur une puissance étrangère mettant une prime sur leur tête », avait-il insisté.

Seulement, les responsables du Pentagone et les chefs militaires affirmèrent à plusieurs reprises que les rapports concernant ces primes russes présumées n’avaient jamais été corroborés par la renseignement militaire américain. Et donc qu’ils n’étaient « pas convaincus » de leur véracité. D’ailleurs, la posture des troupes déployées en Afghanistan n’avait pas été modifiée.

Le chef du commandement américain pour l’Asie centrale et le Moyen Orient [US CENTCOM], le général En septembre, le général Frank McKenzie, avait commenté cette histoire en affirmant qu’elle n’avait pas encore été « prouvée avec un niveau de certitude satisfaisant ». « Nous continuons à rechercher des preuves. Je n’en ai pas encore vu. Mais ce n’est pas un dossier clos », avait-il précisé, dans un entretien donné à NBC News, en septembre 2020.

En janvier, à peine installé dans la Maison Blanche, le président Biden a évoqué cette affaire lors de son premier échange téléphonique avec Vladimir Poutine, son homologue russe. Pour autant, elle ne fait pas partie des raisons qui ont motivé Washington à prendre des sanctions à l’égard de Moscou, le 15 avril. En effet, seules les cyberattaques attribuées à la Russie et les ingérences de cette dernière dans les élections amériaines ont été données les justifier.

Et pour cause. De l’aveu même de Jen Psaki, la porte-parole de la Maison Blanche, le renseignement américain a « une confiance faible à modérée » sur les allégations relatives au paiement de primes aux talibans par la Russie. En clair, aucune preuve n’a été trouvée pour corroborer les affirmations du New York Times.

Dans le domaine du renseignement, une « confiance modérée » signifie qu’une information rapportée est plausible ou vient d’une source crédible mais qu’elle n’est pas suffisamment étayée. Et une « confiance faible » veut dire qu’elle est douteuse ou invraisemblable.

Quoi qu’il en soit, la Russie n’a donc pas été sanctionnée pour cette affaire de prime. Et la Maison Blanche l’évoque de manière prudente et dit qu’elle y répondra sur « la base de meilleures évaluations de la communauté du renseignement. Et de préciser, dans un communiqué publié le 15 avril, que « compte tenu de la sensibilité de cette question, qui implique la sécurité et le bien-être de nos forces, elle est traitée par les voies diplomatiques, militaires et du renseignement. »

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