Des forces navales « étrangères » sont accusées de perturber le chantier du gazoduc Nord Stream 2

Lancé en 2011, le projet de gazoduc Nord Stream 2 doit permettre à la Russie d’exporter vers l’Europe 55 milliards de mètres cubes de gaz par an [soit environ l’équivalent de 10 % de la consommation annuelle européenne].

Devant relier la baie de Narva à la ville côtière allemande de Greifswald, en passant par la mer Baltique, ce gazoduc appartiendra au groupe russe Gazprom, même s’il est co-financé pour moitié par cinq groupes européens, dont les allemands Uniper et Wintershall, ainsi que l’autrichien OMV, le français Engie et l’anglo-néerlandais Shell. Le coût total du chantier a été estimé à 9,5 milliards d’euros. Le projet est géré par le consortium Nord Stream AG.

Seulement, ce projet de gazoduc, qui permettra à Moscou d’exporter son gaz sans passer par l’Ukraine, cristallise les tensions au sein de l’Union européenne [UE]. Devant en être la principale bénéficiaire, l’Allemagne le soutient contre vents et marées, malgré les relations souvent difficiles qu’elle entretient avec la Russie [affaire Navalny, cyberattaque contre le Bundestag, etc].

Pour Berlin, il s’agit d’une affaire purement commerciale. Pour autant, en février, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a defendu Nord Stream 2 en mettant en garde contre les conséquences géostratégiques que pourrait avoir l’isolement économique de la Russie, cette dernière étant susceptible de renforcer ses liens avec la Chine. « Une stratégie des ponts coupées n’est pas seulement erronée mais dangereuse », a-t-il dit.

Reste que plusieurs pays de l’UE s’opposent à ce projet, comme la Pologne et les États baltes. Et que d’autres ne cachent pas leurs doutes, à l’image du Danemark et de la France. Sur les ondes de France Inter, le 3 février, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Clément Beaune, s’est ainsi dit favorable à son abandon.

Une position toutefois nuancée le lendemain par Jean-Yves Le Drian, le minsitre des Affaires érangères, à l’antenne d’Europe 1. « Il ne faut pas confondre les sujets. Nous avons avec les Allemands une discussion sur Nord Stream mais qui concerne essentiellement les enjeux de souveraineté énergétique européenne », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Nous interrogeons les Allemands sur la sécurité énergétique de l’Europe », parlant d’une « discussion sereine, loyale et franche » avec Berlin à ce propos.

En outre, l’UE a adopté la directive 2019/692 relative au marché intérieur du gaz naturel afin de soumettre les opérateurs extérieurs à l’UE aux règles de l’Union de l’énergie, lesquelles insistent sur la transparence des prix, garantissent un accès aux infrastructures à des tiers et séparent les activités de transport et de production de gaz. De réduire l’emprise sur Nord Stream 2 de Gazprom. Et les actions en justice de ce dernier pour contester le texte ont échoué.

Cela étant, le projet Nord Stream 2 ne concerne pas les seuls Européens. Les États-Unis se sont en effet invités dans le débat. En 2018, l’ex-président Trump avait ainsi allumé la mèche en s’en prenant vertement à l’Allemagne lors d’un sommet de l’Otan.

« L’Allemagne est complètement contrôlée par la Russie […] elle est prisonnière de la Russie. […] Elle paie des milliards de dollars à la Russie pour ses approvisionnements en énergie et nous devons payer pour la protéger contre la Russie. Comment expliquer cela ? Ce n’est pas juste », avait en effet lancé M. Trump.

Par la suite, le Congrès a adopté des sanctions contre les entreprises et les navires impliqués dans le projet Nord Stream. Ce qui a immobilisé le chantier pendant un an [il a repris en janvier dernier, avec le navire russe « Fortuna », alors qu’il reste une centaine de kilomètres de tubes d’acier à poser, ndlr].

L’alternance politique à Washington n’a pas modifié la position américaine sur le dossier, le président Biden ayant repris à son compte la politique de son prédécesseur. En mars, le secrétaire d’État, Antony Blinken, a appelé « toutes les entités impliquées » dans le chantier de ce gazoduc de s’en « désengager immédiatement » sous peine d’encourir de nouvelles sanctions.

« Nord Stream 2 est un mauvais projet – pour l’Allemagne, pour l’Ukraine et pour nos alliés et partenaires d’Europe centrale et orientale », a fait valoir le chef de la diplomatie américaine, dénonçant un « un projet géopolitique russe visant à diviser l’Europe et affaiblir la sécurité énergétique européenne. »

C’est donc dans ce contexte que, la semaine passée, Andrei Minin, le directeur de Nord Stream 2 AG, l’opérateur du projet, a fait état d’une activité accrue de navires, d’avions et d’hélicoptères militaires dans la zone où le chantier a rédémarré. Et d’évoquer des « actions clairement provocantes ».

« Depuis la reprise de la construction du tronçon maritime du gazoduc en janvier 2021, nous observons dans la zone de pose une augmentation de l’activité de navires de guerre, d’avions et d’hélicoptères militaires », a en effet affirmé M. Minin auprès de l’agence TASS. « Dans le même temps, les actions de navires civils de pays étrangers évoluant dans la même région revêtent elles aussi souvent un caractère provocateur », a-t-il ajouté.

Des photographies de certains de ces navires ont été publiées par les médias russes. Sur l’une d’elles, on peut effectivement voir le navire de transport – poseur de mines OORP Krakow [Cracovie]. Ce dernier est accusé d’avoir manoeuvré autour du Fortuna. Même chose pour un sous-marin [non identifié] qui, le 28 mars, aurait fait surface à moins d’un nautique du bâtiment russe, c’est à dire dans son périmètre de sécurité. Enfin, M. Minin a aussi dénoncé les vols régulièrement effectués dans la zone par un avion de lutte anti-sous-marine PZL M28 Bryza des forces polonaises.

À Varsovie, on a démenti toute action provocatrice dans les environs du chantier Nord Stream 2.

« La marine polonaise ne mène aucune activité de provocation et s’acquitte de ses tâches conformément au droit international » et « les avions M-28B Bryza effectuent régulièrement des vols de patrouille dans la région de la mer Baltique », a rétorqué l’état-major polonais, via un message publié sur les réseaux sociaux.

Pour la Pologne, le gazoduc Nord Stream 2 pourrait être le prétexte pour la Russie d’accroître sa présence navale en mer Baltique. C’est en effet ce qu’a affirmé Stanisław Żaryn, le porte-parole du coordinateur des services spéciaux polonais, dans une tribune récemment publiée par Defense News.

« S’il est construit, Nord Stream 2 constituera une menace dans le domaine du renseignement pour l’Occident. Il existe un risque que l’infrastructure utilisée pour poser le gazoduc russe en mer Baltique permette au Kremlin de déployer des dispositifs de surveillance », a estimé M. Żaryn, pour qui la Suède a exprimé des préoccupations similaires.

« Étant donné que la mer Baltique est très fréquentée et régulièrement utilisée par l’Otan à des fins d’exercices, et compte tenu de son importance stratégique en tant que seule voie navigable pour les transporteurs de gaz naturel liquéfié [GNL] à destination de terminaux dans les pays qui en achètent à l’étranger afin d’échapper à la dépendance de la Russie pour leurs approvisionnements énergétiques [comme la Pologne], entre autres considérations, la menace des renseignements russes posée par Nord Stream 2 doit être prise au sérieux », a insisté le responsable polonais.

Enfin, a -t-il ajouté, « le risque que la Russie déploie un jour ses forces navales le long des routes des oléoducs sous un prétexte de sécurité nationale est tout aussi important, laissant une grande partie de la mer Baltique non navigable, y compris pour les méthaniers, les cargos, les marines des pays riverains. Dans un tel scénario, le potentiel d’escalade est clair ».

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